Ossip Zadkine sculpteur expo musée Zadkine

Musée Zadkine : ‘voir’ le sculpteur à l’œuvre dans son atelier (1/2)

Il est grand temps de redécouvrir l’œuvre d’Ossip Zadkine ! Né en 1888 à Smolensk, en Russie, le sculpteur arrive à Paris en 1910. Il devient rapidement l’un des tenants de l’École de Paris regroupant les artistes ayant fait de la capitale française un foyer de la création artistique mondiale entre 1900 et 1960. Parmi eux, Chagall, Picasso, Modigliani, Foujita… et Zadkine ! L’exposition Une Vie d’ateliers du musée Zadkine, jusqu’au 2 avril 2023, nous fait pénétrer dans l’intimité créatrice du sculpteur. Plongé dans l’univers particulier des ateliers de sculpture du maître, le visiteur devient le témoin de son processus créatif. Comment naît une sculpture ? La réponse est à rechercher du côté de la rue d’Assas…

Pour nous parler de l’exposition ‘Une Vie d’ateliers’ se tenant au musée Zadkine de la Ville de Paris jusqu’au 2 avril prochain, nous avons rencontré Cécilie Champy-Vinas, directrice du musée et commissaire de l’exposition. Ancienne étudiante à l’École des Chartres, elle se destine dans un premier temps à devenir conservatrice de bibliothèque. Cependant, comme elle suit également une licence d’histoire de l’art à l’École du Louvre, elle finit par passer le concours de conservateur de l’Institut national du patrimoine, qu’elle obtient en 2009. En 2010, elle devient conservatrice de la Ville de Paris.

Cécilie Champy-Vinas : une spécialiste de la sculpture

Elle est alors affectée au Petit Palais, au sein duquel elle devient rapidement responsable de la collection sculptures. Cela l’amène à se spécialiser dans cette discipline. « Au départ, nous confie-t-elle, je m’intéressais à la sculpture antérieure au 20e siècle. J’ai ainsi fait une thèse sur Jean-Baptiste Lemoyne, grand sculpteur de Louis XV (18e siècle). Au Petit Palais, je me suis beaucoup consacrée à la sculpture de la fin du 19e siècle. J’ai ainsi assuré le commissariat de plusieurs expositions : Jules Dalou (2013) ou, plus récemment, Vincenzo Gemito, sculpteur napolitain (2019). J’ai également participé à des expositions plus généralistes, telles que Paris 1900, Paris romantique, etc. »

En outre, Cécilie réaménage l’ensemble de la galerie des sculptures du Petit Palais, ce qui donne lieu à la publication d’un nouveau catalogue. Après dix ans d’activité intense au Petit Palais, elle prend en octobre 2021 la direction du musée Zadkine, qu’elle se propose de nous faire découvrir.

Assip Zadkine sculpteur expo musée Zadkine

À gauche : Zadkine posant un maillet et un ciseau à la main, près de sa Grande porteuse d’eau en bois rue d’Assas  (vers 1928-1930). Paris, musée Zadkine. © Adagp, Paris, 2022. Photo © DR.

À droite : Zadkine posant dans le jardin de la rue d’Assas, à côté de la Femme à l’oiseau (Marc Vaux, 1931). © Adagp, Paris, 2022. Photo : © Musée Zadkine/Paris Musées.

Commissaire d’exposition : un beau métier, comparable à celui de chef d’orchestre

Le commissaire d’exposition détermine le concept, en ayant l’idée première d’une exposition. Il va ainsi déclarer : « j’ai découvert un artiste passionnant à Naples, que j’aimerais bien présenter à Paris ». C’est également lui qui sélectionne les œuvres présentées au public. En effet, difficile de montrer l’intégralité de l’œuvre d’un artiste… Une fois son choix arrêté, le commissaire s’occupe d’emprunter les œuvres, en négociant les prêts.

Il conçoit également le catalogue, de même que la signalétique de l’exposition. Car il est responsable de sa narration. Il travaille avec le scénographe pour mettre en espace les œuvres présentées. « Finalement, une exposition est une œuvre commune impliquant de nombreux savoir-faire. Le commissaire joue alors le rôle de chef d’orchestre. C’est un très beau métier », reconnaît Cécilie.

Revenant à son sujet préféré, Cécilie rappelle que Zadkine est l’un des grands sculpteurs du 20e siècle. Il est aussi important qu’Alberto Giacometti, même s’il ne bénéficie pas de la même vogue que ce dernier à l’heure actuelle. En tout cas, de son vivant, Zadkine jouit d’une reconnaissance internationale, recevant de nombreux prix.

L’œuvre de Zadkine : avant-gardiste, mais pas que !

Zadkine est représentatif de la modernité, se plaçant résolument du côté des avant-gardes. Il est l’un des grands sculpteurs de l’École de Paris, regroupant l’ensemble des artistes d’origine étrangère, souvent juifs, venus à Paris au début du 20e siècle. Tous veulent accéder à la notoriété. Certains y parviennent, d’autres non.

Zadkine a été influencé par tous les courants de la modernité, comme on le constate dans l’exposition : le cubisme, Picasso, etc. Il connaît tous les artistes des avant-gardes, fréquentant par exemple Amedeo Modigliani. Néanmoins, il garde son originalité propre, dont une influence slave marquée. Cécilie rappelle qu’il apprend son métier de sculpteur auprès d’un oncle ébéniste à ses tout débuts. Sa maîtrise du travail du bois est très artisanale. Il traite les sujets classiques de façon moderne. Il est à la croisée de plusieurs influences, traditionnelle, d’une part, avant-gardiste, d’autre part. Cet aspect de son travail le rend particulièrement intéressant.

Zadkine se distingue aussi par son œuvre d’enseignement, largement oubliée aujourd’hui. Il a pourtant formé toute une génération de sculpteurs et de sculptrices, telle qu’Alicia Penalba, venue d’Argentine. Parmi les élèves du maître, on peut encore citer Marta Colvin, originaire du Chili. Les élèves de Zadkine venaient souvent de l’étranger pour se former à Paris, encore dans les années 1950.

Zadkine et les grands bouleversement sociaux des années 1920 : le thème de l’hermaphrodite

Même si le thème de l’hermaphrodite occupe une place à part dans son œuvre, Ossip Zadkine ne s’est pas vraiment exprimé sur le sujet. Cécilie a l’impression que, là encore, il réinterprète de façon moderne un thème classique de la sculpture. En effet, au départ, l’hermaphrodite est une sculpture gréco-romaine, dont un exemplaire célèbre est exposé au Louvre : L’Hermaphrodite endormi. Tous les artistes le connaissent, depuis au moins le 18e siècle. Et Zadkine a voulu en donner sa propre version.

Il est vrai que le sujet est troublant. Ce trouble, Zadkine l’a sans doute ressenti. Dans les années 1910/20, de grands bouleversements de société sont à l’œuvre. Ainsi, la place des femmes évolue et la mode de la garçonne s’impose, ce qui certainement n’a pas échappé à Zadkine. Les œuvres reprenant le thème de l’hermaphrodite nous parlent aujourd’hui, car elles font écho à notre propre questionnement sur le genre. Selon Cécilie, « ce qui est amusant dans le cas de Zadkine, c’est de voir comment ce dernier joue avec la tradition, en l’adaptant à la modernité de son époque ».

Ossip Zadkine sculpteur expo musée Zadkine
Ossip Zadkine, Rébecca ou La Grande porteuse d’eau, 1927, Plâtre peint, 272 x 65 x 63 cm. Paris, musée Zadkine. © ADAGP, Paris, 2022.
Photo : © Pierre Antoine.

Le musée Zadkine, lieu de vie et de création

L’exposition « Une vie d’ateliers » met en avant l’histoire de la maison-atelier de Zadkine. Ce lieu est intimement lié à l’histoire de l’artiste et à la création de son œuvre. « Nous voulions donc insister sur le processus créatif : comment l’artiste donne-t-il le jour à sa sculpture ? Pour cela, nous avons présenté de nombreuses photographies le montrant à l’œuvre dans ses ateliers ».

Zadkine est toujours resté à Montparnasse, à l’exception d’un bref passage par la Ruche, célèbre cité d’artistes située dans le 15e arrondissement. Ensuite, il occupe plusieurs ateliers à Montparnasse, avant de s’installer définitivement en 1928 rue d’Assas, où il demeure jusqu’à sa mort en 1967.

La Deuxième guerre mondiale constitue cependant une parenthèse dans la vie du sculpteur, puisqu’il est forcé de s’exiler à New York. Cela a dû représenter un véritable déchirement, dans la mesure où il est très attaché à la rue d’Assas. Et pour cause : il s’agit d’un lieu calme, un peu en retrait. Encore aujourd’hui, il faut connaître le musée Zadkine : son entrée est si discrète qu’il est facile de passer à côté sans l’apercevoir. Cela fait partie de son charme.

La folie de Montparnasse / le calme de l’atelier

Pour autant, il ne faut pas oublier que nous sommes au cœur d’un quartier animé, surtout à l’époque de Zadkine. Il s’agit du quartier artistique de la capitale par excellence : on parle du Montparnasse des peintres, des sculpteurs. Zadkine est bien évidemment partie prenante de cette vie artistique : il fréquente la Coupole, connaît Max Jacob, Blaise Cendrars, Amedeo Modigliani, etc.

Pour autant, Zadkine apprécie également de pouvoir rentrer chez lui, à l’abri de toute cette agitation. Rue d’Assas, il peut se concentrer sur sa sculpture, au calme et près de la nature. Le jardin arboré que l’on trouve encore aujourd’hui accolé au musée est vraiment très important pour lui. Il aime y passer du temps. Il y reçoit ses amis. Comme le remarque Cécilie, « il n’hésitait pas à y entreposer ses sculptures dans des conditions qui, aujourd’hui, nous font frémir. Cependant, cela ne le gênait pas de laisser ses sculptures en bois dehors, quitte à ce qu’elles se fassent dévorer par les insectes ! En fait, cela l’amusait, même ! »

À suivre : Musée Zadkine : ‘voir’ le sculpteur à l’œuvre dans son atelier (2/2).

Informations pratiques :

Exposition Zadkine : une Vie d’ateliers présentée jusqu’au 2 avril 2023 du mardi au dimanche de 10h à 18h.

Musée Zadkine, 100 bis rue d’Assas, 75006 Paris

Ossip Zadkine sculpteur expo musée Zadkine
Façade et jardin du musée Zadkine. Photo : (c) Pierre Antoine.

Auteur :

N'hésitez pas à partager