Devenue un centre pédagogique en 1992, la Villa de la Conférence de Wannsee (Berlin) accueille aujourd’hui près de 100.000 visiteurs par an. Dans la seconde partie de son interview, Eike STEGEN revient sur les actions pédagogiques mises en place dans ce lieu unique de la Deuxième Guerre mondiale, à l’attention notamment des professionnels. Afin de susciter la réflexion de nos managers tout en évitant que l’histoire se répète !
La Conférence de Wannsee marque un tournant dans l’extermination des Juifs déjà largement entamée, il est vrai, en Europe de l’Est. Pour autant, Reinhard HEYDRICH, hôte principal de la conférence, n’invite aucune des personnes directement impliquées. Ainsi, aucun membre du personnel d’Auschwitz n’est convié, ni aucune personne faisant partie des Einsatzgruppen, ces escadrons de la mort opérant déjà en Pologne et en Union soviétique.
Cela amène Eike STEGEN à faire cette constatation troublante. « L’Holocauste aurait eu lieu même sans la Conférence de Wannsee. Cependant, on ne peut nier qu’elle a eu un impact énorme sur la manière dont les institutions allemandes ont par la suite intégré, formalisé et coordonné le processus ». Ainsi, le 19 mars 1942, une réunion de suivi se tient dans le bureau d’Adolf EICHMANN, qui joue le rôle de secrétaire général de la Shoah. « Rappelons qu’il est le principal organisateur logistique de l’Holocauste au sein de la SS et du Bureau principal pour la sécurité du Reich dirigé par Reinhard HEYDRICH ».
Pour EICHMANN comme pour HEYDRICH, il s’agit de donner au génocide une nouvelle dimension européenne. Jusque-là, il concernait l’Europe de l’Est et du Sud-Est occupée. À partir du printemps 1942, les déportations s’étendent à la France, la Belgique, aux Pays-Bas…
La Conférence de Wannsee refait surface après la guerre
Au moment de sa tenue, la Conférence de Wannsee fait l’objet du plus grand secret de la part des autorités nazies. Cependant, Martin LUTHER, représentant du ministère des Affaires Étrangères lors de cette Conférence, est arrêté en janvier 1943. Il est victime d’un affrontement interne entre différentes factions nazies. En conséquence, on l’envoie au camp de concentration de Sachsenhausen.
Dans sa précipitation, il n’a pas le temps de trier ses papiers. « Or, il avait sur son bureau un dossier clairement intitulé « Solution finale de la question juive en Europe ». Cette chemise contenait des centaines de pages, dont les procès-verbaux de la Conférence de Wannsee, les invitations, les préparatifs faits par le ministère en vue de la Conférence, absolument tout ! Un procureur britannique redécouvre ces documents en 1947. Il les transmet immédiatement à Robert KEMPNER, le procureur américain en chef durant les procès de Nuremberg ».
Si bien que ce n’est que durant le procès « de la Wilhelmstrasse », en 1947, que ces documents sont produits pour la première fois. Ce procès portait sur les institutions du Reich. Son surnom provenait de la rue où se situaient l’ensemble des ministères de l’Allemagne nazie.

Après sa capture, Adolf EICHMANN « donne vie » aux documents relatifs à la Conférence de Wannsee
Après la guerre, face à ses juges, Wilhelm STUCKART, l’un des principaux participants à la Conférence de Wannsee, nie tout en bloc. Il n’a jamais vu les procès-verbaux, affirme n’avoir jamais assisté à la Conférence. Pour lui, cette Conférence est une invention du cerveau malade d’Adolf EICHMANN, alors en cavale. Mais les choses changent à partir du moment où les services secrets israéliens capturent ce dernier en 1960 en Argentine. Ils le ramènent ensuite à Jérusalem et son procès débute en 1961. Il se met alors « à table » et commence à longuement parler de la Conférence de Wannsee.
Il affirme notamment n’avoir jamais été qu’un exécutant, sans pouvoir de décision, « ce qui est faux », explique Eike STEGEN. « À Wannsee, il est vrai qu’il était le moins gradé parmi toutes les personnes présentes. Cependant, il a pris les notes, il a « coaché » HEYDRICH, rédigé ses interventions, fourni les chiffres, coordonné les déportations à venir ». Avec la capture d’EICHMANN, les documents relatifs à la Conférence de Wannsee prennent « une nouvelle vie » !
À lire également : Ce dont il a été question à la Conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942.
La Villa de la Conférence de Wannsee, lieu mémoriel à l’attention des managers
Le travail mené actuellement à la Villa de la Conférence de Wannsee se situe dans le prolongement de l’exploration sans cesse renouvelée des évènements terribles ayant eu lieu en son sein. Devenue centre pédagogique en 1992, la Villa a désormais comme objectif d’amener les visiteurs — en particulier les professionnels et les managers — à réfléchir sur ce qu’ils feraient.
Eike STEGEN pose la question suivante : « si les managers recevaient des instructions du type de celles que Reinhard HEYDRICH a données lors de la Conférence de Wannsee, que feraient-ils ? Rappelons que les criminels de Wannsee étaient tous des hommes cultivés, de hauts fonctionnaires souvent titulaires de doctorats. Cela nous amène à introduire des considérations éthiques dans les parcours professionnels d’aujourd’hui, aussi brillants soient-ils ».
Parmi les 100.000 visiteurs que la Villa accueille chaque année, la moitié sont des professionnels participant à des séminaires ou visites guidées. Un bâtiment annexe a même été construit pour offrir plus d’espace à ces activités pédagogiques. Par ailleurs, la Villa va prochainement ouvrir l’intégralité de son premier étage au public. Pour l’instant, seule la bibliothèque Joseph WULF est accessible. Joseph WULF était un historien survivant d’Auschwitz souhaitant que la Villa devienne un centre de documentation sur les crimes nazis !
Compte tenu de son importance historique unique, la Villa de la Conférence de Wannsee se révèle un lieu de mémoire et de transmission particulier. Il nous force à regarder le passé bien en face et à faire preuve de « vigilance historique » concernant le futur !
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Eike STEGEN revient sur la tenue de la Conférence de Wannsee le 20 janvier 1942 dans cette superbe villa au sein de laquelle des représentants des autorités nazies ont discuté de moyens à mettre en œuvre en vue de la Solution finale de la question juive en Europe… Photo : (c) Haus der Wannsee Konferenz. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Rainshower – Johannes BORNLOF.

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