maîtres classiques et modernes au musée Thyssen

Le musée national Thyssen-Bornemisza : histoire d’un palais particulier devenu musée pour tous !

Nouvelle invitation au voyage : nous vous emmenons cette fois au cœur de Madrid ! À deux pas du Prado et du musée Reina Sofía, le Museo Nacional Thyssen-Bornemisza occupe le Palacio de Villahermosa depuis 1992. Il rassemble une collection unique d’art occidental, fruit de la passion de générations successives de membres de la famille Thyssen.

Par Rudy CAMUS.

« Ce musée a été fondé pour accueillir une collection familiale de près de 775 œuvres. Il n’acquiert pas d’œuvres nouvelles. Seules les œuvres choisies par la famille Thyssen-Bornemisza en font partie », commence par expliquer Juan-Ángel López-Manzanares, conservateur au musée depuis plus de vingt ans.

Aux origines : la passion d’un industriel

Tout débute à la fin du 19e siècle avec August Thyssen, magnat de la sidérurgie allemande. À partir de 1871, il constitue un empire industriel à Styrum, près de Mülheim an der Ruhr. Amateur d’art, il acquiert ses premières œuvres, en l’occurrence sept sculptures signées Auguste RODIN. Sans le savoir, il pose la première pierre d’une collection appelée à devenir l’une des plus grandes collections privées d’Europe.

Par la suite, son fils Heinrich Thyssen donne à cette passion familiale une dimension muséale. Installé aux Pays-Bas après la révolution hongroise de 1919, il se lance dans la constitution d’une collection de maîtres anciens. Inspiré par la Pinacothèque de Munich, conseillé par l’historien de l’art Rudolf Heinemann, il présente sa collection à Munich dès 1930.

Fuyant l’Allemagne pré-nazie en 1932, Heinrich s’installe en Suisse où il se fait construire à Lugano une galerie attenante à la Villa Favorita. Cette galerie est exclusivement dédiée à l’art classique (13e – 19e siècles). Tirant partie de la crise économique, il acquiert des chefs-d’œuvre majeurs, parmi lesquels le célèbre Portrait de Giovanna Tornabuoni (Ghirlandaio), Le Diptyque de l’Annonciation (Jan van Eyck) ou encore des scènes de Carpaccio ou Frans Hals.

musée Thyssen-Bornemisza
Frans Hals, Famille devant un paysage (1645 – 1648). © Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid.

Hans Heinrich Thyssen-Bornemisza : tournant « moderniste »

À la mort d’Heinrich en 1947, son fils Hans Heinrich Thyssen-Bornemisza hérite de la majeure partie de la collection familiale. Mais une rupture s’amorce : Hans Heinrich introduit l’art moderne dans une collection jusque-là exclusivement dédiée à la peinture classique. Il débute avec l’expressionnisme allemand, puis embrasse l’impressionnisme, le fauvisme, le cubisme, le surréalisme, le pop art en enfin l’abstraction. C’est ainsi qu’il enrichit sa collection d’œuvres de Monet, Kandinsky, Lichtenstein, Hopper, Bacon ou Lucian Freud.

« Il voulait apporter une touche personnelle à cette collection, en s’émancipant par rapport aux choix de son père », explique Juan-Ángel López-Manzanares. « Il adorait collectionner, rechercher des œuvres précises, les acquérir. Pour lui, c’était un art de vivre. »

La Villa Favorita, trop étroite pour accueillir cette nouvelle section, reste dédiée aux maîtres anciens. Hans Heinrich organise alors des expositions itinérantes à travers le monde pour montrer ses nouvelles acquisitions : Europe, États-Unis, Japon, jusqu’à l’Union soviétique ! En pleine guerre froide, il établit même un échange inédit avec l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Le baron se transforme alors en ambassadeur culturel.

En quête d’un nouveau lieu pour accueillir la collection Thyssen-Bornemisza

Au début des années 1980, Hans Heinrich envisage d’agrandir la galerie de la Villa Favorita, ouverte au public depuis 1948. L’architecte James Stirling est chargé de dessiner ce nouvel ensemble. Mais la Suisse fait des difficultés. Le baron Thyssen-Bornemisza propose alors d’installer sa collection dans d’autres pays. Il hésite entre Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne… jusqu’à ce que l’Espagne se propose.

Le tournant décisif vient en effet de Carmen Cervera, cinquième épouse du baron, d’origine catalane. Grâce à ses liens avec le monde politique et culturel espagnol, le projet finit par aboutir ! En 1988, un accord pour le prêt de 775 œuvres est signé entre la famille Thyssen-Bornemisza et l’État espagnol. Le Palacio de Villahermosa, en plein centre de Madrid, est rénové par Rafael MONEO pour qu’il puisse accueillir la collection. En 1992, le musée ouvre enfin ses portes.

« À l’origine, le musée recréait l’esprit raffiné d’un palais privé, avec de petites salles et des stucs vénitiens sur les murs », se souvient Juan-Ángel López-Manzanares. Avant d’ajouter : « Aujourd’hui pourtant, la plupart des murs sont blancs ». En 1993, l’État espagnol rachète définitivement l’ensemble des œuvres de la collection, transformant ce dépôt privé en patrimoine national.

Des toiles de maîtres illustrant différents courants de l’histoire de la peinture

Les tableaux les plus anciens remontent à la fin du 13e siècle et les plus récents à la fin du 20e siècle. On peut donc y voir :

  • Des primitifs italiens : Duccio, Luca di Tommè, Piero della Francesca, Ghirlandaio
  • L’école flamande des 15e et 16e siècles : Jan van Eyck, Rogier van der Weyden, Jan Gossaert, Joos van Cleve
  • L’école allemande du 16e siècle : Albrecht Altdorfer, Cranach, Albrecht Dürer
  • La Renaissance italienne : Raphaël, Tintoret, Véronèse, Bassano, Titien
  • Le baroque européen : Caravage, Le Guerchin, Rubens, Rembrandt
  • Le 18e et 19e siècle : Fragonard, Chardin, Monet, Cézanne, Courbet, Renoir, Van Gogh
  • L’art moderne et contemporain : Matisse (fauvisme), Picasso (cubisme), Dalí, Miró (surréalisme), Max Ernst (dadaïsme), et de nombreux autres.

Initialement appelé Museo Thyssen-Bornemisza, le musée devient un « musée national » en 2017, confirmant l’intention de l’équipe dirigeante d’en faire le « musée de tous ». Mais il ne se contente pas d’exposer les trésors d’une famille : il se réinvente.

Edward Hopper Chambre d'hôtel musée Thyssen-Bornemisza.
Edward Hopper, Chambre d’hôtel (1931). © Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid.

Coup de jeune avec l’arrivée de la collection TBA21 !

En 2004, une nouvelle aile est inaugurée pour accueillir la collection Carmen Thyssen-Bornemisza, en dépôt depuis 1993. Cette dernière réunit principalement des œuvres du 19e siècle européen, centrées sur le romantisme, l’orientalisme et la peinture paysagère. Elle est aujourd’hui exposée au rez-de-chaussée du musée.

Une autre étape clé intervient avec l’arrivée de la collection TBA21, fondée par Francesca Thyssen-Bornemisza, fille du baron. Constituée à partir de 2002, cette collection contemporaine explore divers enjeux écologiques, sociétaux et politiques. Grâce à un accord signé avec le musée, deux expositions sont organisées chaque année autour de ces problématiques. « À l’origine, le musée était conçu pour la contemplation esthétique. Aujourd’hui, il participe également au débat culturel et sociétal », affirme Juan-Ángel López-Manzanares.

Le musée Thyssen-Bornemisza : un musée qui s’engage

Dans ce prolongement, la programmation du musée, outre l’étude de ses collections classiques et modernes, s’articule désormais autour de trois axes de réflexion :

  • Le changement climatique
  • Le féminisme et
  • La mémoire coloniale.

Ces thématiques irriguent à la fois les expositions temporaires et les médiations proposées au public. Des parcours spécifiques (LGBTQ+, féministes, postcoloniaux) offrent ainsi une lecture plus inclusive et critique des œuvres. En 2024, l’exposition Colonial Memory in the Thyssen-Bornemisza Collection explorait la représentation du pouvoir colonial dans la collection permanente, en confrontant œuvres anciennes et contemporaines. Ce dialogue entre les époques devient un marqueur distinctif du musée.

« Le musée n’est plus un simple réceptacle d’œuvres. Il dialogue avec la société et interroge notre rapport au monde », résume Juan-Ángel López-Manzanares. « Ce n’est plus un temple figé, mais un espace d’accueil pour les nouvelles façons de penser et de faire ».

Le musée Thyssen-Bornemisza : troisième angle du triangle muséal madrilène

Aux côtés du Prado, temple de la peinture espagnole classique, et du musée Reina Sofía, dédié à l’art contemporain, le musée Thyssen-Bornemisza joue un rôle complémentaire. Il vient enrichir le patrimoine espagnol, notamment en matière de peintures hollandaises, allemandes et italiennes, mais aussi dans le domaine de l’art moderne.

« En Espagne, jusqu’à une période très récente, les goûts demeuraient très classiques. Le musée Thyssen-Bornemisza a permis de donner une nouvelle orientation à la scène picturale nationale », souligne Juan-Ángel López-Manzanares.

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Un musée miroir de notre monde

L’enracinement du musée Thyssen-Bornemisza dans le paysage muséal madrilène et espagnol représente une transmission culturelle réussie. Palais particulier devenu institution muséale nationale, une famille a fait don de sa collection à la nation et aux visiteurs du monde entier ! Ancré dans l’histoire de l’art, mais résolument tourné vers le présent et le futur, le musée s’impose comme un espace de mémoire, de dialogue et d’engagement.

« Nous ne devons pas seulement regarder les œuvres, mais nous demander : pourquoi ont-elles été peintes ? Une œuvre est aussi un objet social. Contempler les œuvres, c’est aussi s’interroger sur ce que nous étions, ce que nous sommes, et ce que nous voulons devenir », conclut Juan-Ángel López-Manzanares.

Plus d’information en cliquant ici.

Cet été, le musée poursuit son engagement en faveur des grands enjeux contemporains avec l’exposition « Terrafilia : Au-delà de l’humain » jusqu’au 24 septembre 2025, une exploration sensorielle et philosophique de notre lien à la planète, fruit d’un dialogue inédit entre les collections permanentes et contemporaines.

Le Musée Thyssen-Bornemysza est ouvert tous les jours de 10h à 19h. Le lundi, ouverture entre midi et 16h et entrée gratuite. En été, les expositions temporaires ferment à 21h tous les jours sauf le dimanche, et le samedi les expositions sont gratuites de 21h à 23h. Le Musée est situé Paseo del Prado, 8 / 28014 Madrid / Espagne.

Image en début d’article : montage de trois peintures — Domenico Ghirlandaio, Portrait de Giovanna degli Albizzi Tornabuoni (1489 – 1490) ; Ernst Ludwig Kirchner, Fränzi devant une chaise sculptée (1910) ; et Mark Rothko, Sans titre (Vert sur violet) (1961).

Plongez avec Juan-Ángel López-Manzanares (conservateur au musée Thyssen-Bornemisza de Madrid) dans l’histoire de ce lieu exceptionnel : 1000 œuvres d’art, 8 siècles de chefs-d’œuvre. Voyage dans l’histoire et confrontation avec les enjeux contemporains. Photo : (c) José Pedro Salinas ; Vidéo : (c) LaTDI ; Musique : (c) Brahms, Violin Sonata Op 78 No 1.

Musée Thyssen-Bornemisza
Façade du Palais Villahermosa. (c) Museo Nacional Thyssen-Bornemisza.
Musée Thyssen-Bornemisza
(c) Museo Nacional Thyssen-Bornemisza.
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