Wolfgang TILLMANS, The State We're In, A, 2025.

Wolfgang TILLMANS : et la photo sort de son cadre (« Rien ne nous y préparait. Tout nous y préparait » au Centre Pompidou) — Florian EBNER

Jusqu’au 22 septembre 2025, le Centre Pompidou consacre une rétrospective exceptionnelle au photographe plasticien Wolfgang TILLMANS, figure majeure de l’art contemporain. Jouant à la fois sur les sens et les pensées du public, l’exposition investit l’ancienne Bibliothèque Publique d’Information du musée. La scénographie des œuvres en devient audacieuse, organique, politique même. Plongée dans un univers visuel en constante mutation.

Écrit en collaboration avec Hélène HUDRY

Et si la photographie n’était plus ce qu’elle était ? Et si l’image devenait un langage pour dire le monde autrement, en mettant à nu la texture et la matière des clichés, en valorisant jusqu’aux erreurs qu’ils contiennent ? C’est le parti pris de Wolfgang TILLMANS.

À cet égard, l’exposition que le Centre Pompidou consacre au photographe, lauréat du Turner Prize, ne ressemble à aucune autre. Ni parcours balisé, ni hiérarchie imposée : le visiteur est libre d’errer parmi les œuvres, de se perdre pour mieux les ressentir. Une forme de résistance à l’uniformisation de notre perception, orchestrée par celui qui sait que l’avenir de l’image ne peut ignorer les évolutions technologiques.

Florian EBNER : le commissaire derrière l’exposition « Wolfgang Tillmans. Rien ne nous y préparait. Tout nous y préparait. »

Florian EBNER connaît Wolfgang TILLMANS depuis longtemps. Photographe de formation, il débute sa carrière dans les années 90, avant de bifurquer vers la théorie de l’art et l’enseignement. Il enseigne la photographie à Leipzig pendant six ans avant de se consacrer exclusivement à la curation. Depuis 2017, il est conservateur en chef des collections photographiques du Centre Pompidou.

Son regard de praticien de la photographie lui permet d’apprécier doublement l’œuvre de TILLMANS. Par le biais de la technique, d’une part. D’autre part, par les mutations culturelles que le photographe met en évidence. Florian EBNER voit ainsi en Wolfgang TILLMANS l’un des rares artistes à avoir aussi bien saisi le « basculement de l’ère analogique vers le numérique ».

Wolfgang TILLMANS Centre Pompidou

Wolfgang TILLMANS à la BPI, janvier 2025 © Centre Pompidou.

L’ « histoire au présent » dans les images de Wolfgang TILLMANS

Wolfgang TILLMANS ne photographie pas pour illustrer, mais pour interroger. L’exposition du Centre Pompidou se déploie selon plusieurs axes thématiques puissants. Le premier, baptisé History Now, explore comment certaines images « révèlent leur potentiel caché au moment de leur réalisation, avec le temps qui passe », explique Florian EBNER.

Parmi elles : Empire (US/Mexico border), 2005. Prise à la fin des années 1990, cette image représente un poste-frontière entre les États-Unis et le Mexique. Ce dernier s’apparente, déjà à l’époque, avant même le début de la construction du mur anti-migrants par le président Trump, à un univers carcéral de sécurité maximale.

Ou encore : Army (Moscow 2005), montre des soldats russes en parade. Sur le cliché, les signes d’une Russie en voie d’ouverture sont bien visibles, avec les enseignes « Christian Dior » mises en évidence à l’arrière-plan. Vingt ans après, cette image fait immédiatement penser au militarisme russe renaissant annonçant la guerre en Ukraine.

Comment la tech modifie-t-elle notre perception du monde ?

Autre axe majeur de l’exposition : la perception. Comment percevons-nous le monde ? Et surtout, comment les machines perçoivent-elles ce que nous voyons ? TILLMANS interroge ainsi le rôle de l’appareil photo, sa subjectivité, ses limites. Certaines de ses œuvres capturent même le bruit numérique d’un capteur en panne de lumière. Ce que l’œil humain ne voit plus, la machine l’interprète. Parfois à tort.

TILLMANS « cultive l’erreur, l’accident pour en faire une œuvre à part entière ». C’est notamment le cas avec une machine mal réglée dont les rouleaux plient les tirages. L’artiste souligne les erreurs de l’analogique. « C’est-à-dire qu’il prend des tirages sales. Simplement, au lieu de les jeter, il cultive ces ratages… »

L’exposition ne fuit pas la matérialité de l’image : elle l’exhibe, au contraire. Dans ses installations, les tirages sont parfois encadrés, mais ce n’est pas toujours le cas. « Il abandonne la linéarité des accrochages standard. Ça, c’est sa signature. Toujours, il montre ses photos comme ceci : les petits tirages sont scotchés au mur. Les tirages plus grands sont suspendus avec des pinces à dessin. Enfin, quelques œuvres sont encadrées de façon plus traditionnelle. Cela illustre toute la réflexion de TILLMANS sur la matérialité de ses œuvres ».

Wolfgang TILLMANS, Its only love give it away. Courtesy Galerie Buchholz, Galerie Chantal Crousel, Paris, Maureen Paley, London, David Zwirner, New York.

Une scénographie libre, organique et vivante !

Le visiteur pénètre dans un espace inhabituel : l’ancienne BPI (Bibliothèque Publique d’Information) du Centre Pompidou, un lieu de savoir, de recherche et d’accueil. TILLMANS y voit une résonance forte avec ses propres questionnements. Il en conserve certains éléments : moquette, rayonnages, tables, signalétique. Il transforme ces marqueurs en les intégrant à l’exposition. « Cela donne une composition en forme d’énorme photogramme du plan de l’ancienne bibliothèque ! »

Les œuvres dialoguent avec le lieu dans lequel elles sont montrées. L’exposition refuse toute linéarité. « On circule librement partout, au gré des choses que l’on souhaite voir ». Ainsi, l’installation Truth Study Center propose des tables faites de portes recyclées sur lesquelles s’empilent des coupures de presse, des textes et des images. Ce savoir présenté de façon « désordonnée » mentionne clairement qui en sont les auteurs et les sources. À l’inverse de ce que nous propose l’intelligence artificielle où le savoir présenté est « ordonné », mais anonymisé.

Wolfgang TILLMANS joue avec les supports. Photocopies agrandies, tirages volontairement pliés, papiers photosensibles exposés à la lumière brute. La série de photos intitulée « Freischwimmer » expérimente avec le liquide sauf… qu’il n’y a pas d’eau. Tout n’est qu’expérimentations menées avec la lumière. TILLMANS « dessine » ces œuvres en chambre noire à l’aide de sources lumineuses tenues à la main. « ‘Freischwimmer’ fait référence au premier brevet de natation que les enfants reçoivent en Allemagne. Il évoque donc la liberté et l’autonomie, à l’image de la nature fluide et mouvante de ces œuvres ».

Wolfgang TILLMANS Centre Pompidou

Wolfgang TILLMANS, Moon in Earthlight. © Courtesy Galerie Buchholz, Galerie Chantal Crousel, Paris, Maureen Paley, London, David Zwirner, New York.

Du passé ne pas faire table rase

Bien que TILLMANS évoque le passé (en le transformant), son exposition est dénuée de toute nostalgie. « Wolfgang TILLMANS sait qu’on ne peut pas remonter le temps. Il faut ‘vivre avec son temps’, quitte à revenir sur certaines choses du passé pour en souligner l’intemporalité » explique Florian EBNER.

En 2024, TILLMANS revisite ainsi ses œuvres Panorama, right et Panorama, left (2006). À l’origine de simples photocopies de taille standard, il agrandit ces images « pour en faire de nouvelles œuvres, longues de six mètres. Ce changement d’échelle met en évidence les innombrables lignes formées lors du processus, révélant les moindres détails graphiques composant l’image. Les salissures sur la vitre apparaissent à la fois comme les empreintes de la machine et des éléments picturaux ».

Dédoublées, ces images sont accrochées à la fois au Berghain, club berlinois mythique, ainsi qu’au Centre Pompidou. Mêmes images, mêmes formats, mais des contextes et des lectures différentes.

À lire également : « BEUYS » par Andres VEIEL : « L’art n’est plus un objet qu’on accroche au mur ! »

Wolfgang TILLMANS nous donne bien plus que des images…

Hypnotisé par ses images, on en oublie que Wolfgang TILLMANS aime à s’aventurer en dehors de « son » domaine. L’exposition rappelle ainsi qu’il est aussi musicien. Voir à ce propos la salle dédiée à ses créations sonores, ainsi qu’un film projeté en boucle montrant une simple fleur de jardin ballotée au gré des courants d’air.

Wolfgang TILLMANS s’intéresse aussi à l’architecture avec Book for Architects, projection de plusieurs centaines d’images du bâti contemporain. Le monde construit tel que nous l’habitons, avec ses réussites et ses failles. Enfin, il tisse des liens entre l’intime et le global, entre la photo de mode et l’activisme LGBTQ+, entre la scène underground et le monde institutionnel.

Cette exposition se présente avant tout comme un espace de réflexion, d’attention et de liberté. Car, pour TILLMANS, photographier le monde, c’est l’interroger…

Plus d’informations en cliquant ici.

Expo « Wolfgang Tillmans. Rien ne nous y préparait. Tout nous y préparait », jusqu’au 22 septembre 2025 de 11h à 19h, tous les jours sauf le mardi. Bibliothèque publique d’information, niveau 2, Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou, 75004 Paris.

Image en début d’article : Wolfgang TILLMANS, The State We’re In. © Courtesy Galerie Buchholz, Galerie Chantal Crousel, Paris, Maureen Paley, London, David Zwirner, New York.

Plongée dans l’univers libre et sensoriel de Wolfgang TILLMANS au Centre Pompidou, où l’image devient un outil de réflexion sur le monde, tandis qu’elle se dématérialise… Visite de l’expo avec son co-commissaire Florian EBNER. Portrait de Florian EBNER par Wolfgang TILLMANS. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Drip (Instrumental Version) – Janset.

Voici l’article récent en français de La Tribune de l’Initiative sur Wolfgang Tillmans :

Wolfgang TILLMANS : et la photo sort de son cadre
(« Rien ne nous y préparait. Tout nous y préparait » au Centre Pompidou) — par Géronimo (avec Hélène Hudry), publié le 10 août 2025

L’article revient sur la rétrospective exceptionnelle consacrée à Wolfgang Tillmans au Centre Pompidou, accessible jusqu’au 22 septembre 2025. L’exposition prend place dans l’ancienne Bibliothèque Publique d’Information, qu’elle investit entièrement — une mise en scène audacieuse, « organique, politique même », offrant une immersion dans un univers visuel en perpétuelle transformation 
lightingthearchive.org
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latribunedelinitiative.fr
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latribunedelinitiative.fr
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On y souligne également la posture radicale de Tillmans : questionner la photographie non comme simple représentation, mais comme langage capable de dévoiler la texture et la matière des images, jusqu’à valoriser leurs erreurs. La scénographie libère le visiteur d’un parcours imposé, lui permettant plutôt de errer librement parmi les œuvres, en résistance à l’uniformisation de la perception moderne 
latribunedelinitiative.fr
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Affiches de l’exposition « Wolfgang Tillmans. Rien ne nous y préparait. Tout nous y préparait ». (c) Centre Pompidou, 2025.
Wolfgang TILLMANS Centre Pompidou
Vue de l’expo : (c) Jens ZIEHE.

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