Horizonte film de César AUGUSTO ACEVEDO

« Horizonte » : de l’enfer sur terre au paradis céleste (un film de César AUGUSTO ACEVEDO)

« La mort demande justice ». Le Cuirassé Potemkine, Sergueï EISENSTEIN, 1925.

100 ans après Le Cuirassé Potemkine, premier film sur la révolte d’un peuple, César AUGUSTO ACEVEDO met en scène une société qui ne se révolte plus. En effet, Horizonte traite de la guerre civile colombienne. Un conflit ravageant le pays depuis 1958 et responsable, à ce jour, de la mort de plus de 450 000 personnes. 

Ses deux longs métrages constituent un cinéma à la fois personnel et universel. « Il nous permet de faire rentrer notre propre histoire dans son récit », déclare Sabine AZÉMA, lors de la remise de sa Caméra d’or pour La Terre et l’Ombre. Horizonte dévoile ses liens envers un peuple dont la foi en l’humanité s’est éteinte. « Nous nous sommes tellement habitués à la mort que nous avons oublié la valeur de la vie. Je voulais réfléchir sur ce que la Terre avait encore à nous offrir », confie César AUGUSTO ACEVEDO. 

« Horizonte » : une identité pour les défunts

« Je voulais adopter le point de vue des morts afin de rappeler qu’ils avaient été des êtres humains aimés par leur famille et poursuivant des rêves ». En effet, Basilio, sorti de son tombeau, retourne chercher Inès, sa mère, dans l’ancienne maison familiale. Le temps est à l’orage, et dans ce lieu gorgé d’eau et de vie, tout semble dépérir. Inès ne parle plus aux plantes ni aux animaux. Les murs blancs, désormais décrépis, s’effritent sous ses doigts. Constatant les dégâts matériels, Basilio regrette la perte de sa famille. 

Le décor en nature morte évoque les vanités. Ce genre pictural rappelle à l’humanité son caractère éphémère à travers des symboles tels que crânes, bougies ou épis de blés. Le sol craque comme un squelette sous les pas de Basilio. Point de bougies car la flamme de l’existence s’en est allée. Mais la fumée, laissée dans son sillage, traverse un muret suintant le trépas, constitué de grosses pierres empilées sans aucun mortier, allégorie d’un peuple désuni. Basilio et Inès le franchissent. Filmés en plongée zénithale, ils errent telles des fourmis dans la vallée des ombres et de la mort. Car l’Homme n’est rien face à la nature qui le domine.

D’obscurs souvenirs

Inès et son fils reviennent dans le premier village dévasté par Basilio. Un cortège de vivants traverse de part en part leur enveloppe fantomatique. L’acceptation de cette immatérialité coûte à Basilio. Il mène sa mère dans sa sombre maison mentale. Elle y avance, ouvrant une à une les portes retenant ses crimes. Ici une montagne de chaussures et de vêtements, là une pyramide d’armes, et pour finir une vague d’hommes, femmes et enfants, témoignent d’une vie de massacres. 

La lumière, jaillissant de chacune des pièces, aveugle Inès. Tout comme les hommes de la caverne de Platon, elle est éblouie par cette prise de conscience. En effet, cette allégorie démontre que les sens, reliés à l’apparence et à l’obscurité, s’opposent à la connaissance et à la lumière. Ainsi, refusant de croire que son fils a perdu toute humanité, Inès lui demande de contenir sa violence. Basilio s’y refuse. Elle s’offre alors en sacrifice et tourne vers son cœur le pistolet qu’il pointe en direction de trois hommes à terre.  

Quelle quête pour les morts ? 

Les protagonistes étant déjà morts, nous ne pouvons plus craindre pour leur vie. Ou du moins leur vie matérielle. Le devenir de leurs âmes constitue donc l’enjeu principal du film. « Basilio est un monstre qui possède le pouvoir de la parole. Il doit cheminer pour retrouver son humanité. Inès est une idéaliste en incapacité de comprendre le monde dans lequel elle évolue. Ses idéaux, ne s’harmonisant pas avec les horreurs qui l’entourent, doivent être détruits ».   

Alors qu’ils ont déjà affronté de nombreuses épreuves, Basilio et Inès sont arrêtés par trois cowboys dans une vaste pleine. Le chef de la bande fait un tour d’horizon des crimes de Basilio, évoquant notamment son intérêt pour l’argent. Inès, qui jusque-là, pardonnait un enfant enrôlé de force, ouvre les yeux sur le monstre qu’elle a engendré. Sa foi est donc à son tour ébranlée

Horizonte film de César AUGUSTO ACEVEDO
« Horizonte » de César AUGUSTO ACEVEDO. © Cine Sud Promotion.

« Horizonte » : du monde des défunts à celui des vivants

Tout comme dans La Divine Comédie, afin d’atteindre la vie éternelle, les personnages doivent traverser le purgatoire. Basilio, horrifié devant la vision de sa maison montant aux cieux, perd la vue. « Les yeux sont les fenêtres de l’âme », pensait Léonard DE VINCI. Ainsi, les paupières closes de Basilio retiennent son esprit aux enfers. Plongé dans les ténèbres, il doit laisser son cœur le guider afin de recouvrer la vue.  

« Les protagonistes traversent les limbes. Ces espaces froids et sombres demeurent inertes. Mais au fur et à mesure que les personnages récupèrent leur humanité, ils se rapprochent de la vie ». Le cinéma, art de la mise en mouvement, permet donc ce passage de l’inertie, synonyme de mort, à la réanimation de l’espace et du temps. Ainsi, lorsque le corps de Basilio émerge de la rivière, les couleurs s’éclaircissent. Cette immersion a valeur de baptême et témoigne de son passage vers le monde des croyants. 

Le son des âmes en perdition

Tout comme l’image évolue de l’ombre à la lumière, le son passe du monde des défunts à celui des vivants. Les craquements et chuintements du sol évoquent le son de squelettes ou de cadavres en décomposition. Basilio, après avoir tué sa mère, déambule dans une forêt où il hurle aux combattants silencieux de se taire. Puis, en expiant leurs péchés, les personnages atteignent un univers plus paisible. « Dieu ne se présente pas physiquement, il vit dans le silence. C’est une idée qui est exprimée de façon concrète à travers les éléments de la nature ». 

« J’ai aussi utilisé le son pour représenter la violence. J’ai permis au spectateur de construire ses propres images mentales en invoquant son expérience personnelle ». Alors que Basilio revient sur les lieux désertés d’un massacre, il décrit à sa mère le combat. Nous n’en voyons rien, mais nous entendons seulement les sons mécaniques de l’attaque : armes à feux, balles, machettes, portes enfoncées, ponctuent son monologue. Des humains, plus aucun son ne subsiste, si ce n’est la respiration de ces deux âmes en perdition. 

Le royaume des sens 

Au purgatoire, Basilio voit son corps amoindri. Après avoir perdu la vue, sa mère lui broie les mains pour l’empêcher de tuer, le privant ainsi du toucher. Maudit, il ne ressent plus le goût des fruits. Privé de tous ses sens, excepté l’ouïe, il s’éloigne de l’aspect matériel de son humanité. Car, seule l’écoute et l’expiation de ses péchés lui permettront de redevenir humain. 

Ce voyage initiatique au royaume d’Hadès stimule pourtant les sens. « Nous sommes dans un monde de morts, mais je voulais que le spectateur ait une sensation émotionnelle de vie ». Le film permet de ressentir : rugosité des matériaux, humidité ou sécheresse des décors, ainsi que les odeurs nauséabondes des cadavres. Un cinéma viscéral qui rappelle au spectateur sa condition de vivant !

« Horizonte » : création d’un mythe

« J’ai essayé de construire un mythe basé sur mes propres observations du monde ». Les sacrifices de Basilio et d’Inès ne sont pas sans rappeler la mythologie inca. Chez les peuples précolombiens, l’enveloppe charnelle du défunt restait à terre tandis qu’une de ses deux âmes s’envolait vers les cieux. Les offrandes humaines permettaient de protéger les vivants de la colère des dieux, tandis que les sacrifiés devenaient des divinités veillant du haut de la montagne où ils avaient péri. 

Basilio, après avoir assassiné sa mère, la mène d’ailleurs en haut de la cordillère des Andes. Le tonnerre gronde. Serait-ce la réponse d’Illapa, Zeus ou Seth ? Des mythologies grecque et égyptienne on pourrait retenir ce fleuve séparant le royaume des vivants de celui des morts. Le culte du soleil ainsi que la barque solaire de Rê ou le livre des morts expriment également le cheminement qu’opèrent Basilio et Inès. L’horizon, frontière métaphysique, est d’ailleurs le lieu mythique où le dieu du jour combat celui de la nuit.

Horizonte film de César AUGUSTO ACEVEDO
« Horizonte » de César AUGUSTO ACEVEDO. © Cine Sud Promotion.

« Horizonte » : la rédemption au bout du chemin ?

Horizonte peut aussi se lire comme une métaphore biblique inversée, partant de l’apocalypse pour revenir à la création. D’ailleurs Cali, ville d’origine de César AUGUSTO ACEVEDO, est la forme raccourcie de Santiago de Cali dont le nom fait référence à l’apôtre Jacques. Sur les bords de la rivière Cauca, il attrape dans son filet Basilio. 

Le rapport aux pêcheurs marque d’ailleurs la vie de Jésus, dont Horizonte présente une parabole. Depuis sa sortie du tombeau, jusqu’à son ascension, Basilio semble incarner le Christ. Il traverse d’ailleurs les trois jardins de Jésus. En commençant par le Golgotha, jardin du crâne, lieu de crucifixion. Puis en passant par le mont des oliviers, où Jésus se recueillait avant d’être arrêté. Pour revenir enfin au jardin d’Éden, où Basilio rapporte Ève, sa mère, à son père, Adam. 

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Pardonnez et vous serez pardonnés…

Basilio atteint la rédemption en retrouvant la foi. Inès, quant à elle, apprend à renouer par le dialogue. Dès le début du film « elle perd sa voix » et ne parvient pas à trouver les mots pour réconforter une femme à la recherche des corps de ses proches. Elle reste muette également au sujet du père de Basilio. « Le film ne se construit pas seulement autour de la parole car les personnages doivent apprendre à écouter et à dialoguer ». 

Dans la première scène, Inès ne reconnaît pas Basilio. Les traumatismes vécus et leur cheminement à travers les limbes et le purgatoire leur permettent de s’entraider. Dans le brouillard qui les efface, Inès et Basilio se pardonnent et s’enlacent. Quel geste plus beau pour signifier que rien n’est venu les sauver ? « C’est en acceptant l’autre et en s’offrant à lui de manière honnête et désintéressée que nous transformerons le monde ». 

Plus d’informations en cliquant ici.

Sortie de la VOD française prévue pour la fin 2025.

Plongez au cœur des enfers avec Horizonte de César AUGUSTO ACEVEDO ! Le réalisateur colombien, primé à Cannes, exprime son désespoir face à la guerre civile qui ravage son pays et son besoin de redonner la foi à un peuple résigné. Un combat vers la rédemption qui ne laisse pas indemne. Une hymne au pardon et à la réconciliation… Photo : (c) César AUGUSTO ACEVEDO. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : Hymn for peace.

Horizonte de César AUGUSTO ACEVEDO affiche
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