Olga BANCIC Groupe Manouchian

Olga BANCIC, résistante roumaine, communiste et juive du groupe MANOUCHIAN à Paris, guillotinée par les nazis à Stuttgart en 1944 (Françoise RUDISILE)

En février 2024, Missak MANOUCHIAN et ses compagnons entrent au Panthéon. Mais une figure manque aux cérémonies accompagnant cet évènement. Olga BANCIC, membre à part entière du groupe Manouchian, est guillotinée à Stuttgart par les nazis le 10 mai 1944. Oubliée des commémorations, elle renaît aujourd’hui grâce aux travaux de Françoise RUDISILE, juriste française installée à Stuttgart. Interview.

Article rédigé par Rudy CAMUS,
Interview réalisée à Stuttgart par notre envoyé spécial

Installée en Allemagne depuis plus de cinquante ans, c’est par une série de hasards que Françoise RUDISILE découvre l’existence d’Olga BANCIC, figure trop discrète de la Résistance. En 2022, à Stuttgart, elle accompagne une délégation de descendants de cheminots résistants venus de Dijon pour rendre hommage à leurs parents. La juriste française ne se doute pas qu’une simple commémoration va bouleverser sa perception de l’histoire… et la nôtre aussi !

MANOUCHIAN au Panthéon / Olga BANCIC à Stuttgart

Devant le monument dédié aux victimes du nazisme, son regard se pose sur une stèle où figure un nom qui l’intrigue : Golda BANCIC. « Là, un journaliste me dit : ‘Vous savez, elle a été condamnée en France.’ J’ai été comme frappée par la foudre. Les débuts de mon travail de recherches historiques remontent à ce jour », confie-t-elle.

Mais un événement donne un nouvel élan à son enquête. En 2023, lorsque le président MACRON annonce l’entrée au Panthéon de Missak MANOUCHIAN et de ses compagnons de la Résistance, Françoise RUDISILE décide de mobiliser les consuls de France, d’Arménie et de Moldavie, ainsi que plusieurs instances politiques. Son objectif : honorer la mémoire à Stuttgart d’Olga BANCIC, injustement maintenue dans l’ombre.

Missak MANOUCHIAN résistant
Armenak Arpen (« Missak ») MANOUCHIAN (c) photo de police du 18.11.1943.

Golda (« Olga ») BANCIC, résistante roumaine exilée à Paris en 1938…

Née en 1912 en Bessarabie — aujourd’hui la Moldavie —, celle qu’on appelle encore Golda s’engage très tôt dans les rangs communistes. Ses activités militantes lui valent la prison en Roumanie. Fuyant la répression, elle gagne la France en 1938 avec sa fille et son mari, le poète et écrivain Jacob SALOMON, qui prendra plus tard le nom d’Alexandre JAR.

À Paris, Golda change son nom pour « Olga ». Alexandre JAR, lui, rejoint pendant l’Occupation les Francs-tireurs et partisans. Leurs engagements respectifs les tiennent souvent éloignés l’un de l’autre. Olga s’occupe de leur fille, Dolores, et suit des cours à la Sorbonne. Elle fait par ailleurs tout pour subvenir aux besoins de la famille grâce à de petits boulots.

… intègre les FTP-MOI dès 1941

Dès 1941, Olga BANCIC rejoint à son tour la Résistance au sein des FTP-MOI. Au sein de ce groupe, personne ne se connaît par son vrai nom. Olga se fait appeler « Pierrette ». Ceux qui l’ont côtoyée se souviennent d’une femme à l’esprit vif et alerte. Pour Françoise RUDISILE, « Elle était très intelligente, bien qu’on ne puisse la qualifier d’intellectuelle ».

Le groupe MANOUCHIAN, constitué principalement d’étrangers antifascistes, juifs et communistes, mène des actions de sabotage et de résistance dans la clandestinité. Olga y joue un rôle essentiel : on suppose qu’elle assurait le transport des armes, tout en assurant la liaison entre les cellules.

Sa présence rappelle que la Résistance fut aussi portée par des femmes courageuses, souvent demeurées invisibles dans les récits historiques. Pour autant, Françoise RUDISILE ne souhaite pas faire d’Olga BANCIC une icône ou une figure mythifiée. Il s’agit avant tout de rendre justice à une femme droite et engagée dans un combat collectif, et non d’ériger une héroïne solitaire. Leur combat politique et moral à tous était sans ambiguïté. Comme avait coutume de le répéter MANOUCHIAN, « Quand on tire, on ne tire pas sur un Allemand, on tire sur un nazi ».

Le groupe MANOUCHIAN, l’Affiche rouge et la traque

À Dijon, dès décembre 1940, des cheminots résistants du dépôt de Perrigny, syndicalistes CGT, constituent un groupe de sabotage sous la direction de Maurice THURINGER. Leurs actions risquées ciblent les infrastructures ferroviaires. Certains d’entre eux le paient au prix fort. Ils sont arrêtés, torturés et condamnés à mort.

Ces luttes parallèles témoignent de la détermination des résistants face à une répression implacable. Dans le camp adverse, le décret Nuit et Brouillard, signé secrètement par Adolf HITLER le 7 décembre 1941, accélère les arrestations et les exécutions. C’est ainsi que la Gestapo surveille pendant de longs mois le groupe MANOUCHIAN, avant de passer à l’action. En deux jours, elle procède à l’arrestation de soixante de ses membres.

Les nazis placardent alors dans tout Paris leur célèbre Affiche rouge montrant les visages des résistants. Les slogans visent à les faire passer pour des criminels étrangers et des terroristes. Mais comme le rappellera Léo Ferré, « l’affiche rouge [a continué] de fleurir dans nos mémoires ».

En février 1944, les membres du groupe MANOUCHIAN sont condamnés à mort. Quant à Olga BANCIC, elle est arrêtée et transférée à la prison de Fresnes avant d’être déportée en Allemagne.

Affiche rouge groupe Manouchian Olga BANCIC
La fameuse Affiche rouge des services de propagande allemande ; à droite : verso du tract distribué par l’Occupant à propos du Groupe Manouchian, 1944. © Wikipedia.

Clemens RÜTHER, témoin allemand de la fusillade du Mont-Valérien

Un témoignage rare et poignant, retrouvé en 1985, émane de Clemens RÜTHER, sous-officier allemand ayant assisté à l’exécution. Le 21 février 1944, 22 membres du groupe FTP-MOI, dont Missak MANOUCHIAN, sont fusillés au Mont-Valérien.

RÜTHER décrit avec une précision glaçante la mise à mort méthodique : « Ils furent tous fusillés, quatre à quatre, par un commando des forces armées allemandes. Ils étaient liés à des poteaux et avaient les yeux bandés. […] Seul un homme de presque 50 ans donna encore un signe de vie […], un officier lui donna alors le coup de grâce. »

Un autre témoin notable de ce sombre épisode est l’Abbé STOCK, militaire allemand et aumônier. Présent tout au long du parcours funeste, il assiste aux arrestations, procès et exécutions. Selon les témoignages, l’abbé apportait une présence humaine dans un contexte d’inhumanité. Il arrivait avec son missel et commençait ses prières, entrecoupées de nouvelles sur les familles des prisonniers. « Je vous salue Marie, j’ai vu votre famille hier, pleine de grâce, les enfants vont bien », disait-il, créant un lien fragile entre les détenus et leurs proches.

Exécution du groupe Manouchian Olga BANCIC
Exécutions de Georges Cloarec, Rino Della Negra, Cesar Lucarini et Antonio Salvadori, résistants Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) du « groupe Manouchian ».
Mont-Valérien (Hauts-de-Seine), 21 février 1944. © Clemens Rüther/ECPAD/Défense. Association Les Amis de Franz Stock – Franz Stock Komitee.

Olga BANCIC écrit une dernière lettre à sa fille

Quant à Olga BANCIC, elle est envoyée à la prison de Stuttgart, où elle arrive au début du mois de mai 1944. Entre-temps, elle parvient à écrire une lettre à sa fille Dolores qu’elle glisse sans doute par une fenêtre lors de son transfert. Dans ce dernier message d’adieu, elle utilise le mot « aimer » à douze reprises.

Dès les premiers mots, l’intensité de sa lettre nous frappe : « Le dernier désir d’une mère qui va vivre encore douze heures ». Cette lettre ne parviendra à son mari et à sa fille, repartis vivre en Roumanie, qu’après la guerre.

«Les femmes résistantes ne devaient plus être exécutées en France. La fusillade, c’était réservé aux hommes ! », précise Françoise RUDISILE. Le 10 mai 1944, Olga BANCIC est ainsi guillotinée. Son corps est envoyé à la faculté d’anatomie de Tübingen ou de Heidelberg, d’où il s’évanouit sans laisser de trace.

Restauration de la mémoire d’Olga BANCIC

Ce n’est qu’en 1990 qu’une stèle à sa mémoire est installée au Mont-Valérien, aux côtés de celles du groupe MANOUCHIAN. Aujourd’hui, à Stuttgart, la mémoire des victimes du nazisme s’incarne dans plusieurs lieux. La stèle du Landgericht en est un, l’Hôtel Silber — ancien quartier général de la Gestapo, transformé en lieu de mémoire en 2010 — en est un autre.

«Chaque année, un petit bouquet est déposé sur la stèle du Landgericht Stuttgart», confie Françoise RUDISILE. Si ces commémorations font d’Olga BANCIC un exemple de courage, elles nous rappellent aussi que rien n’est jamais acquis. L’investigatrice poursuit sa quête en croisant les sources. Car elle souhaite pouvoir répondre aux doutes qui subsistent. «Quelle est la date exacte de son transfert? Où est passée sa fille Dolores? Écrire un livre pour reconstituer sa mémoire morcelée?».

À lire également : La Justice instrumentalisée par les nazis : fin de l’État de droit en Allemagne à partir de 1933 (Sabrina MÜLLER, Haus der Geschichte, Stuttgart).

Olga BANCIC Alexandre JAR Dolores
Olga BANCIC en famille, avec Alexandre JAR et leur fille, Dolores. (c) Archives nationales roumaines.

La justice nazie et le rôle ambigu des juristes : le Persilschein d’après-guerre.

Françoise RUDISILE souligne le rôle paradoxal de certains juges et allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale. « Il faut se poser la question de l’autorité. Tout système doit être soumis à la critique. Les juges de l’époque condamnaient, mais signaient en même temps une demande de grâce par acquis de conscience. Même si cette demande n’aboutissait jamais, ils pouvaient ainsi laver leur conscience à moindre frais. » La procédure de grâce, rigoureusement contrôlée, était souvent bloquée au plus haut niveau.

Après la guerre, les juristes furent soumis au processus de dénazification. Beaucoup obtinrent un document officiel. Il était délivré par les Alliés ou les autorités locales, attestant qu’ils n’avaient pas été des nazis actifs ou qu’ils ne représentaient pas un danger politique. Sur un ton ironique, on l’appelait Persilschein — « certificat Persil » — car il « blanchissait » la réputation de son porteur « plus blanc que blanc ». Souvent, ce certificat s’obtenait grâce au témoignage favorable d’un voisin.

Devoir de mémoire : une urgence contemporaine

Olga BANCIC incarne un lien précieux entre passé et présent. Sa lutte dépasse la mémoire individuelle. Et rejoint les enjeux brûlants de notre époque.

Pour Françoise RUDISILE, l’engagement s’enracine dans le présent « Il ne s’agit plus du passé, mais de ce qu’il se passe aujourd’hui. Depuis 2015, je suis bénévole au sein d’une association pour les demandeurs d’asile. La lutte contre la résurgence de l’extrême droite en Europe, les attaques contre les mémoires vivantes et les remises en cause du droit d’asile en Allemagne constituent la source de ma motivation actuelle ».

En 2024, en choisissant de faire entrer au Panthéon Missak MANOUCHIAN et ses compagnons, Emmanuel MACRON reconnait le rôle décisif des résistants étrangers dans l’histoire de France. Ce geste, hautement symbolique, résonne avec les débats actuels sur l’immigration. Ces hommes et femmes venus d’ailleurs ont risqué – et souvent donné – leur vie pour défendre un pays qui n’était pas celui de leur naissance. Mais qu’ils avaient choisi comme patrie d’adoption.

Olga BANCIC : reconnaissance posthume

Certes, Olga BANCIC n’a pas reçu la reconnaissance posthume qu’elle méritait. Pourtant, résistante, mère, femme et symbole universelle de courage, elle devient un miroir tendu à notre époque. On ignore où elle repose. Sa mémoire, quant à elle, reste vivante et éveille nos consciences. Elle nous exhorte à résister aux idéologies extrêmes qui reviennent en force aujourd’hui, malgré les terribles exemples du passé.

Ses derniers mots, adressés à sa fille, touchent profondément notre âme. Ils nous rappellent le sort des femmes et des enfants qui vivent l’horreur de la barbarie, aujourd’hui encore. On imagine leurs paroles glisser sur les lèvres des survivants, voyager avec le vent sur des terres ravagées. Pour réveiller nos consciences :

« Je meurs avec la conscience tranquille, et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux… » Olga BANCIC. Une figure d’espoir.

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Image en début d’article : Photo de police d’Olga BANCIC. © Archives de la Préfecture de Police de Paris – 18 novembre 1943]

Découvrez le destin hors norme d’Olga BANCIC, résistante française exécutée en 1944. Françoise RUDISILE restaure la mémoire de ce membre oublié du groupe Manouchian. Photo et Vidéo : (c) LaTDI. Interview réalisée à l’Altes Schloss de Stuttgart.

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