À sa fondation en 1985, le Schwules Museum, littéralement le « musée pédé » de Berlin, propose une contre-histoire et des archives consacrées à l’homosexualité masculine, pour l’essentiel. Au fil du temps, il devient cependant plus inclusif vis-à-vis des femmes lesbiennes, prenant désormais en compte l’ensemble du spectre des identités sexuelles et de genre. Heiner SCHULZE, sociologue et membre du conseil d’administration du musée, nous guide à travers ce lieu, unique à Berlin et dans le monde !
« En tant que sociologue, je m’intéresse à toutes les formes d’inégalités sociales, ainsi qu’à la culture de la mémoire et de l’histoire queer ». Heiner SCHULZE devient membre du conseil d’administration du Schwules Museum en 2016 alors que le musée cherche à intégrer dans son équipe des profils plus variés. Le but ? Diversifier ses propositions !
Le Schwules Museum : lieu d’expositions et de consultation d’un fonds d’archives queer
Pendant longtemps, le musée s’intéresse principalement aux grands artistes gays. Ce faisant, il exclut de son radar une bonne partie du spectre des expériences queer. À force d’autocritique, tout en s’interrogeant plus avant sur la manière de développer de nouvelles perspectives, le musée en devient plus inclusif. « Par exemple, avec notre exposition ‘Queering the Crip, Cripping the Queer’ (2022/23) nous avons exploré la question du handicap et de l’anticonformisme en matière de sexualité. Beaucoup de personnes queer sont en situation de handicap. Mais elles ne font que très rarement l’objet d’attention de la part des institutions ».
L’originalité de ce musée ne réside plus tant dans la mise en avant d’artistes queer que dans sa philosophie reposant sur trois piliers. « Premièrement, nos expositions s’attachent à rendre visibles des phénomènes sociaux que nous jugeons importants. Deuxièmement, notre exceptionnel fonds d’archives rassemble des documents portant sur 50 ans d’histoire de la culture et de l’art queer. Enfin, troisièmement, nous mettons à la disposition du public notre bibliothèque ». Les institutions regroupent rarement des lieux consacrés aux expositions et à la consultation d’archives en un seul et même endroit. En ce qui le concerne, le Schwules Museum ne se contente pas de montrer le travail des artistes, il en garde aussi la trace !
Des commissaires d’exposition pas comme les autres !
Jusque dans les années 2010, les co-fondateurs du musée, parmi lesquels Andreas STERNWEILER (historien de l’art) et Wolfgang THEIS (critique cinéma à la Cinémathèque allemande), assurent seuls la curation de la plupart des expositions. Malgré le budget limité dont ils disposent, ils impliquent les personnes dont ils présentent le travail, ou la vie. Cet aspect est toujours aussi important aujourd’hui. « Pour l’exposition ‘Queering the Crip, Cripping the Queer’, les commissaires étaient eux-mêmes en situation de handicap. Concernant notre exposition sur les personnes intersexes* — l’une des premières de ce type –, les commissaires étaient eux-mêmes intersexes. Quant à l’exposition sur les queers en Asie du Sud-Est, elle a été montée par des commissaires originaires de ces pays ou de leur diaspora ». Le Schwules Museum tient donc à donner la parole à son public queer !
«Plus récemment, poursuit Heiner SCHULZE, nous avons testé une nouvelle approche en lançant des appels à projets. Cela augmente notre visibilité tout en nous permettant d’inviter les artistes à se déclarer ».
Schwules Museum : international…
Le musée conseille également d’autres institutions désireuses de donner une meilleure représentation des personnes LGBT. Ainsi, le Musée allemand de l’hygiène à Dresde a fait appel au Schwules Museum pour se pencher sur la mise à jour de la section de sa collection permanente consacrée à la sexualité. « En outre, nous avons aussi travaillé avec plusieurs institutions artistiques et muséales. À chaque fois, il s’est agi de les aider à mieux valoriser certains artistes en prenant en compte les aspects queer de leur travail. Ils nous demandaient aussi de leur donner des clés pour aboutir à une présentation des œuvres et des expositions plus inclusive ». Le Schwules Museum crée ainsi un réseau de personnes travaillant dans de prestigieuses institutions culturelles allemandes, même éloignées du monde queer, afin de les mettre en relation.
« À l’international, nous aidons les individus ou les groupes voulant créer un musée ou centre d’archives queer dans leur propre pays ». Heiner SCHULZE cite des pays comme la France, la Pologne, la Grèce, la Scandinavie, l’Angleterre, la Turquie, la Corée, le Japon ou encore Taiwan. Tous ces pays cherchent à répliquer l’expérience berlinoise du Schwules Museum. « L’objectif est d’échanger sur nos expériences. Car ces porteurs de projets nous considèrent parfois comme une sorte de modèle ».
… et local à la fois !
Pour autant, le réseautage à l’international ainsi que la proximité entretenue avec d’éminents membres issus de grandes institutions culturelles n’empêchent pas le Schwules Museum de demeurer proche de son public. « Les Berlinois viennent voir nos expositions, en prenant part aux visites guidées que nous organisons. Nous développons également des projets spécifiques centrés sur l’histoire queer locale, dans lesquels des jeunes de 14 à 21 ans ont l’occasion d’explorer leur propre quartier et de mener leurs propres recherches ».
Heiner SCHULZE poursuit : « Ces jeunes recueillent des témoignages étayant leurs recherches, sous la forme d’interviews d’habitants de leur quartier, par exemple… Ce faisant, ils s’impliquent dans l’histoire locale queer. Ils parlent aussi de leurs propres expériences. Cela nous permet d’enrichir nos archives locales, en donnant une image plus complète de chacun des quartiers de la capitale ».
Une société moins réceptive par rapport aux problématiques queer ?
Constamment à la recherche de nouvelles sources de financement, le Schwules Museum a cependant été contraint de licencier une partie de son personnel pour raison économique. Plusieurs programmes éducatifs proposés par le musée ont également été supprimés. « Les coupes budgétaires du Land de Berlin touchent nombre d’institutions progressistes », déplore Heiner SCHULZE.
Ces coupes reflètent l’évolution de l’air du temps. « Il devient à présent toujours plus difficile de porter des projets culturels autour de problématiques queer ». Certains partis politiques anti-queer sont en pleine ascension, comme l’AfD (Alternativ für Deutschland). Bien que ce parti soit dirigé par une lesbienne, son idéologie d’extrême-droite nie les droits des personnes queer. « Le quotidien devient aussi plus difficile. Nos personnels connaissent un nombre croissant d’agressions. Il y a quelques années, le musée a même essuyé des tirs d’armes à feu. Et nous sommes régulièrement la cible d’actes de vandalisme ».

Schwules Museum : entre enjeux géo-politiques, féminisme radical et électro berlinoise
Malgré les difficultés budgétaires et une atmosphère plus hostile, le Schwules Museum fait feu de tout bois avec quatre expositions en simultané. Ainsi, A Heart that beats – Focus on Queer Ukrainian Art s’intéresse à l’art queer en Ukraine dans le contexte de la lutte contre l’envahisseur russe. « Avant l’indépendance du pays en 1991, les corps queer étaient très peu représentés en Ukraine. Entre 1991 à 2014, certains artistes ont déclenché un mouvement de résistance contre tous les conservatismes. Entre 2014 et maintenant, l’art parle des traumatismes de la guerre et rapporte des expériences queer vécues sous l’occupation ».
L’exposition Fire + Flame to the Patriarchy retrace, au travers des photographies de l’artiste berlinoise Petra GALL, le combat des femmes lesbiennes pour disposer librement de leur corps. Tout en faisant bloc contre les violences sexuelles et en organisant des résidences situées en plein Berlin, réservées aux femmes.
Par ailleurs, Heiner SCHULZE et Ben MILLER se sont penchés sur les archives de l’artiste Mac FOLKES, à l’origine de tracks mémorables telles que In Love We Trust. « C’était un Africain-Américain gay ayant longtemps vécu à Berlin. Il a largement contribué à faire de Berlin l’une des capitales mondiales de la musique électro ».
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La longue marche vers la libération queer en Allemagne !
Enfin, véritable exposition manifeste pour le Schwules Museum, Love at first Fight retrace le long chemin de l’émancipation pour les queers en Allemagne. « Des décennies de colère refoulée s’expriment suite à une rafle de la police américaine visant un lieu de sociabilité gay le 27 juin 1969 à New York : Stonewall ». L’exposition analyse les répercussions de cet évènement sur le mouvement allemand pour l’émancipation homosexuelle, entre 1969 et nos jours.
Cette exposition, numérique en partie, se compose d’images d’artefacts imprimables sur différents supports. « Il s’agit d’une exposition itinérante devant être présentée de par le monde : affiches, tracts, appels à manifester, extraits de fanzines underground, etc. ». L’expo souligne l’aspect chaotique de la lutte pour l’égalité des droits. Ainsi que la brûlante actualité de certaines revendications « historiques » !
* Mercury Rising – Inter* Hermstory[ies] Now and Then (2021/22).
Plus d’informations en cliquant ici.
Heiner SCHULZE nous présente le Schwules Museum, le musée de toutes les cultures queer situé à Berlin. Suivez le guide… Photo : (c) Heiner SCHULZE. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) Mac FOLKES – IN LOVE WE TRUST – SANDINISTA / BEATS MIX

