Figure essentielle de la scène artistique et militante berlinoise, Petra GALL a documenté, des années 1980 aux années 1990, la vie, les luttes et les fêtes de la communauté lesbienne et féministe de Berlin-Ouest. Aujourd’hui, le Schwules Museum de Berlin lui consacre une vibrante rétrospective. Collin KLUGBAUER, co-commissaire de l’exposition, évoque pour nous la puissance évocatrice de son regard dans l’exposition « Brûler le patriarcat ».
Par Rudy CAMUS
Dans le Berlin des années 1980, les nuits s’embrasent, les squats fleurissent et les luttes féministes s’organisent dans une atmosphère bouillonnante de contestation. C’est dans cette effervescence que débarque en 1981 une jeune photographe, Petra GALL. Encore peu connue du grand public, elle s’impose rapidement en documentant la scène lesbienne et féministe de Berlin-Ouest.
L’arrivée de Petra GALL dans le chaudron bouillonnant du Berlin-Ouest des années 1980
Née dans une Allemagne rurale et conservatrice, Petra GALL découvre à Berlin une cité bouillonnante sur les plans culturels et politiques. « Ce n’est pas un hasard si elle commence à photographier là », souligne Collin KLUGBAUER. Féminisme radical, contre-culture punk, militantisme anti-nucléaire, esprit libertaire des squats alternatifs… Ces mouvements forment le terreau fertile d’une génération qui aspire à changer le monde.
Très vite, Petra GALL s’immerge dans la communauté féministe et lesbienne, dont elle partage les valeurs et les combats. Toujours accompagnée de son appareil photo, elle capture les manifestations, rassemblements, fêtes clandestines, ateliers et visages de celles qui revendiquent le droit d’exister autrement, hors des cadres patriarcaux. Prolongement de son engagement politique, chacun de ses clichés capture la fureur de vivre, l’énergie collective et l’élan émancipateur propres au Berlin-Ouest des années 1980.

Petra GALL laisse une œuvre colossale : 200.000 pièces d’archives
L’engagement de Petra GALL ne se limite pas à quelques images isolées. Son travail se déploie sur plus de deux décennies. Aujourd’hui, il constitue un fonds d’archives exceptionnel : près de 200.000 pièces d’archives, témoignages uniques d’une culture lesbienne et féministe en pleine effervescence.
Le Schwules Museum joue un rôle essentiel dans la préservation et la mise en lumière de ce patrimoine. Au total, près de 5.800 objets photographiques de Petra GALL ont fait l’objet d’un travail minutieux de numérisation, classement et conservation. Le but était d’en faciliter l’accès par les chercheurs, les artistes et le grand public. « Ils forment la mémoire vivante des luttes passées, que le grand public peut aujourd’hui s’approprier en les réutilisant ».
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« Brûler le patriarcat » : quand la photographie devient une arme politique
L’exposition « Brûler le patriarcat », sous le commissariat de Collin KLUGBAUER et Birga MEYER, rend hommage à cette photographe au regard engagé. Le parcours de l’expo, centré sur les années 1980 et 1990, dévoile comment la photographie peut se transformer en puissant outil d’affirmation de soi, de résistance et de construction identitaire.
Petra GALL ne pratique pas une photographie distante ou purement journalistique. Elle appartient à la communauté qu’elle immortalise, et ses images en sont le reflet le plus intime. Ce sont des fragments de vie partagés, des instants de lutte et de joie captés de l’intérieur. Cette proximité donne à ses clichés une intensité particulière. « Ils transcendent le simple document pour devenir des armes contre l’invisibilisation et l’oppression ».

Petra GALL, une photographe de tous les combats !
Berlin-Ouest dans les années 1980 est un véritable laboratoire social. Le féminisme radical s’y mêle à la contre-culture punk, aux luttes anti-nucléaires, et à l’esprit libertaire des squats autogérés. Les femmes et les lesbiennes s’organisent en collectifs, ouvrent des lieux d’entraide et de création. Ce faisant, elles défient la domination masculine dans la rue comme dans les institutions culturelles.
Petra GALL documente ces initiatives avec une acuité rare. Marches du 8 mars célébrant les droits des femmes, nuits de Walpurgis inspirées par le sabbat des sorcières, manifestations contre les violences domestiques etc. La photographe immortalise les grandes causes des années 1980 et 1990. Cela va du droit à l’avortement (encore aujourd’hui criminalisé par le §218 du code pénal allemand) aux questions de santé féminine, en passant par l’égalité économique, mais aussi, plus tard, la lutte contre le racisme et le nationalisme. Son œuvre relaie le message d’une génération refusant d’être réduite au silence et revendiquant le droit d’aimer, de désirer et de créer librement.
À travers ses photographies, se dessinent les prémices du mouvement FLINTA (Femmes, Lesbiennes, Intersexes, Non-binaires, Trans et Agenres), qui aujourd’hui reprend le flambeau de cette émancipation collective. En reliant ces images du passé aux luttes contemporaines, « Brûler le patriarcat » rappelle l’actualité du combat féministe.
Petra GALL : du collectif à l’intime
Mais l’œuvre de Petra GALL dépasse la sphère politique au sens strict. Elle s’attache aussi à la vie quotidienne, à la tendresse des amitiés, à la complicité des regards. Ses clichés dévoilent les espaces féminins et lesbiens de Berlin : squats autogérés, centres communautaires comme la Schokofabrik (ancien atelier chocolatier transformé en espace féministe). Ou encore le Pelze, ancienne boutique de fourrures devenu laboratoire d’art queer et de performances entre 1981 et 1996.
Ses photographies de soirées — concerts, fêtes BDSM, événements sex-positifs comme les Raging Cunts ou les week-ends érotiques — célèbrent la liberté des corps et la puissance du désir. Loin de tout voyeurisme, Petra GALL capte la sensualité comme un langage politique centré sur le plaisir et la joie.
Son regard, à la fois tendre, subversif et solidaire, construit une mémoire collective où chaque visage, chaque geste devient symbole d’émancipation. Elle sait capter l’érotisme en le distinguant de la pornographie. À travers ces images, on mesure la vitalité d’une culture lesbienne longtemps effacée des récits officiels, mais dont les traces subsistent dans les clubs, les archives ou bien les musées d’aujourd’hui.

Petra GALL passe le flambeau à la nouvelle génération
L’œuvre de Petra GALL continue d’inspirer la scène artistique contemporaine. Dans l’exposition, ses photographies dialoguent avec celles d’artistes telles que Lena Rosa HÄNDLE, Katharina VOß ou Janin AFKEN.
Ces artistes réinvestissent le champ de la mémoire et du corps, en s’appuyant sur le travail de Petra GALL et en imaginant de nouvelles formes d’expression où se mêlent le politique, l’intime et l’expérimental. Elles incarnent la continuité et la vitalité du combat pour l’émancipation.
Plus d’informations en cliquant ici :
Exposition : Brûler le patriarcat – Les photographies de Petra GALL
Lieu : Schwules Museum Berlin, Lützowstraße 73, 10785 Berlin
Dates : jusqu’au 12 janvier 2026
Commissaires : Collin KLUGBAUER & Birga MEYER
Horaires : tous les jours de 14h à 18h (fermé le mardi)
Tarifs : 10 € / tarif réduit 7 €
Accès : U-Bahn « Nollendorfplatz » ou « Bülowstraße »
Site : www.schwulesmuseum.de
Figure méconnue mais essentielle de la scène artistique et militante berlinoise, Petra GALL a documenté, des années 1970 aux années 1990, la vie, les luttes et les fêtes de la communauté lesbienne et féministe en Allemagne de l’Ouest. Aujourd’hui, le Schwules Museum de Berlin lui consacre une vibrante rétrospective. Collin KLUGBAUER, co-commissaire de l’exposition, restitue toute la puissance politique et poétique de son regard dans l’exposition « Brûler le patriarcat ». Photo : © Ygor Bahia (SMU). Vidéo : (c) LaTDI. Musique : ℗ + © play loud! productions, track ‘Für Immer’ from the soundtrack album ‘Mona Mur in Conversation’, publishing by Freibank..

