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Mathilde Brasilier : après la nuit de l’inceste… vivre, enfin ! (2/2)

Dans son livre Le jour, la nuit, l’inceste, paru aux éditions L’Harmattan en 2019, Mathilde Brasilier revient sur la relation incestueuse que lui impose son père, ainsi qu’à son frère. Jusqu’en 1999, soit trente ans après les faits, son amnésie lui permet de vivre une vie quasi-normale. À partir du moment où les faits lui reviennent en mémoire, elle coupe les ponts avec son père. Par suite de la publication de son livre-témoignage, elle participe aux travaux de la CIVISE, commission sur les violences sexuelles faites aux enfants, créée en 2021 par Emmanuel Macron. Grâce à ce travail, Mathilde vit désormais en paix avec son passé. Dans une interview, elle nous raconte son extraordinaire cheminement vers la guérison.

Mathilde Brasilier consulte Catherine Dolto alors qu’elle a une trentaine d’années. Au départ, elle voit la thérapeute à propos de son fils atteint d’autisme. Après quelques séances, Catherine Dolto déclare qu’elle aimerait effectuer un travail avec elle aussi. C’est ainsi que Mathilde débute un long travail d’analyse. « Cela ne s’est pas fait facilement, dans la mesure où j’étais très protectrice vis-à-vis de ma famille ». À plusieurs reprises, même, elle interrompt son analyse, se rebellant contre sa thérapeute. Elle reproche alors à cette dernière d’inventer des problèmes qui n’existent pas. « Jusqu’au jour où certaines images me sont revenues à l’esprit ».

Dans le tourbillon des souvenirs douloureux

Un jour, Mathilde revient d’une séance avec Catherine Dolto. Elle est encore dans la rue. Tout d’un coup, elle ressent comme un malaise. Les images commencent alors à refluer, « comme un film défilant devant mes yeux ». À mesure que la mémoire lui revient, Mathilde se sent aspirée dans un tourbillon. Car ces visions ne sont pas toujours plaisantes. « Cependant, quelle satisfaction de se rappeler enfin ce qu’on a vécu ! Connaître la vérité ne change rien à ce que l’on est au fond de soi. En revanche, cela peut aider à trouver une explication à certains de nos troubles du comportement… Le cheminement vers la vérité m’a pris huit ans : c’est long, une analyse ! »

Quand elle réalise ce par quoi elle est passée, Mathilde coupe les ponts avec son père. « Je ne voulais plus le voir ! En cela, j’ai suivi les conseils de Catherine Dolto. D’autant que je réalisais du même coup que Fabien, mon petit frère, s’était donné la mort à cause de mon père. Dans ces conditions, il me devenait impossible de le revoir. Pour parler de quoi ? Une personne qui vous a violée, c’est difficile de la revoir en face. Il y a quelque chose d’insupportable et de révoltant, à tel point qu’une répulsion s’installe ». Par ailleurs, le silence et la distance font partie intégrante de la guérison.

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(c) mixetto – iStock

Avec Le jour, la nuit, l’inceste, Mathilde Brasilier contribue à libérer la parole

Avec son livre Le jour, la nuit, l’inceste publié chez L’Harmattan en 2019, Mathilde participe au mouvement de libération de la parole sur l’inceste. En cela, elle prend la suite de Claude Ponti (Les Pieds bleus, 1995), Christine Angot (L’Inceste, 1999), Catherine Allégret (Un Monde à l’envers, 2004). Elle annonce également le témoignage-choc de Camille Kouchner, dont le livre La familia grande sort en 2021.

Après la publication de son témoignage, Mathilde a pu faire la paix avec son entourage. « J’ai renoué une relation apaisée avec ma mère, notamment pendant les dix dernières années de sa vie. Je me suis complètement réconciliée avec tout mon entourage. Même s’il est vrai que certaines personnes de la famille sont restées sourdement hostiles. Elles auraient sans doute préféré qu’on n’en ait jamais parlé, ou alors que le livre sorte sous pseudonyme ! »

Après un temps de réflexion, Mathilde poursuit : « j’ai toujours écrit : c’est mon mode de communication, et cela m’a beaucoup aidé. C’est une catharsis. Une fois que c’est écrit, c’est rangé, d’une certaine manière. Cela permet de continuer à vivre, pleinement. Les souvenirs traumatiques ne viennent plus vous brouiller la tête sans arrêt. »

Le travail de prévention de la CIIVISE (commission sur l’inceste)

Mathilde insiste sur le caractère libératoire de la prise de parole, non seulement pour elle, mais aussi pour l’ensemble des victimes d’inceste. C’est la raison pour laquelle elle est fière du travail accompli au sein de la CIIVISE, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Cette commission est créée par Emmanuel Macron en 2021. Elle est portée en sous-main par la première dame Brigitte Macron, sensible au thème de la protection des enfants victimes de viols et d’inceste, particulièrement dans le cadre familial. La CIVISE s’emploie ainsi à sensibiliser le corps enseignant et les médecins, pour qu’ils puissent intervenir plus efficacement quand la situation l’exige. « Un enseignant peut ainsi apprendre à un enfant que si un adulte touche son corps, ce n’est pas bien ».

Car certains signes sont révélateurs. Parmi eux, Mathilde cite les troubles du sommeil ou bien encore le manque d’éclat dans le regard. Auparavant, l’alerte était donnée en cas de difficultés scolaires uniquement. « Alors que cela n’a rien à voir ! En ce qui me concerne, j’étais première tout le temps, car je m’employais à faire bonne figure ».

En revanche, selon Mathilde, l’insomnie infantile doit susciter un questionnement. Un enfant qui ne s’endort pas le soir, ce n’est pas normal. « Ce n’est pas le devoir du lendemain qui empêche un enfant de trouver le sommeil. En ce qui me concerne, mon corps a enregistré une peur, celle de l’ombre de mon père se glissant dans ma chambre. Ce souvenir traumatique empêche désormais le mécanisme de l’endormissement de se faire ».

Prévenir les suicides

En septembre 2022, Mathilde est également auditionnée sur les Droits de l’enfant à l’Unesco. Elle est invitée à donner son avis sur les moyens d’alerter les pouvoirs publics aux niveaux des écoles, des cabinets de consultation de médecine générale, etc. Mathilde suggère alors de s’intéresser au regard des enfants. « Le fait pour un enfant d’avoir été victime éteint quelque chose en lui. Moi-même, si je croise une personne dans ce cas, je peux le percevoir, rien que par son regard un peu terne. »

Être capable de décrypter de tels signes permet in fine de sauver des vies. Comme elle le rappelle, quand on recherche les causes de suicides, on se rend compte que la présomption d’inceste est souvent présente. Il est facile de considérer que le suicidé était simplement mal dans sa peau. « On dit : ‘il avait le mal de vivre’ ; ou bien : cétait un romantique’. En fait, non, il y avait autre chose, dans nombre de cas ! »

Dans son livre témoignage Le jour, la nuit, l’inceste publié aux éditions L’Harmattan, Mathilde Brasilier raconte les relations incestueuses que son père a imposées à son frère et à elle-même. Elle revient également sur la façon dont elle a pu se sortir de sa condition de victime pour, enfin, parvenir à vivre une vie de femme presque « comme les autres »… Photo : (c) Mathilde Brasilier. Vidéo : (c) LaTDI.

Pardonner pour trouver l’apaisement

Aujourd’hui, par suite de son travail avec Catherine Dolto, de la publication de son livre ainsi que de son travail avec différentes instances publiques, Mathilde a réussi à retrouver la paix. Y compris dans sa relation avec son père. « Il est mort en 2005, le lendemain d’une conversation téléphonique au cours de laquelle je lui ai accordé mon pardon. Je savais qu’il attendait mon appel et mon absolution, depuis six ans déjà ! Il y a eu une beauté dans cet ultime échange. Il ne supportait plus d’avoir fait ce qu’il avait fait. Dans le même temps, je reconnaissais qu’il était toujours mon père. Je lui ai réaffirmé que je l’aimais, bien qu’il ait tué mon frère. Cette dernière conversation demeure comme un cadeau pour moi ». Le père de Mathilde se suicide le lendemain en prenant du cyanure.

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À l’aune de cet échange, Mathilde conserve une image nuancée de son père. « Je ne le vois pas comme un démon. Dans sa schizophrénie, il avait une double personnalité. L’une était perverse, je ne reviendrai pas sur le sujet. L’autre correspondait davantage à l’image traditionnelle du père : il m’a ainsi appris un nombre de choses infini ».

Le choix de la vie

Certaines personnes ne comprennent pas que l’on puisse admirer quelqu’un et en même temps, estimer que ce qu’il a fait est inacceptable. Pourtant, selon Mathilde, il vaut mieux vivre dans l’apaisement et avec la notion de pardon. Nous avons tous la capacité de pardonner, il faut donc l’exercer. « Vivre dans la haine, ce n’est pas possible. On ne se construit pas sur de la haine. On dégringole au contraire, on se détruit et on est fissuré de partout ».

Mathilde conclut : « pour s’en sortir, mon frère Fabien a choisi le suicide. Pour ma part, je prends un autre chemin : celui de la vie. Je choisis également d’être heureuse. Car cela reste possible, malgré tout ! »

Mathilde Brasilier, Le jour, la nuit, l’inceste, éditions L’Harmattan, 2019.

petite fille épanouie et saine.
(c) PeopleImages – iStock.

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