Hôtel Silber la Gestapo devant ses juges

L’Hôtel Silber, ancien siège de la Gestapo (Stuttgart) : devoir de mémoire et responsabilité (Friedemann RINCKE)

De passage à l’Hôtel Silber de Stuttgart, ancien siège de la Gestapo du Wurtemberg, nous poursuivons notre visite en compagnie de Friedemann RINCKE, commissaire de l’exposition « La Gestapo devant ses juges ». Méthodiquement, notre interlocuteur décrit l’appareil sécuritaire de l’Allemagne nazie, dont la Gestapo est le pilier central. Puis il se penche sur les procès ayant défrayé la chronique dans l’après-guerre. Pour nous aider à nous faire notre propre opinion…

La police sous le Troisième Reich

« En ce qui concerne les services de police dans leur ensemble, on distingue la police criminelle (KriPo), c’est-à-dire la police veillant à la protection de l’ordre public, portant l’uniforme et dont les membres sont visibles, particulièrement dans les villes. À côté de cela, il existe les polices de renseignement, comme la police secrète d’État, la Gestapo, abréviation de Geheime Staatspolizei. Ce sont des organes de la police d’État.

« Outre ces organes étatiques, on distingue aussi les organes du parti, le NSDAP. La SS est une organisation du NSDAP. Il ne s’agit donc pas d’une organisation publique. C’est un trait caractéristique de l’État nazi que certains organes du parti assument des tâches quasi-étatiques. Tout comme le SD (Sicherheitsdienst) ou service de renseignement du parti nazi, sous-division de la SS collaborant étroitement avec la Gestapo et la police criminelle.

« La situation devient encore plus complexe lorsqu’on se rend compte que la SS elle-même n’est pas du tout homogène. Elle se décompose en différentes branches. Il y a les Waffen-SS, combattant aux côtés de la Wehrmacht. Il existe les Waffen-SS Totenkopfverbände, qui gèrent les camps de concentration et fournissent le personnel de surveillance. Il existe également une branche « économique » de la SS (Wirtschaftshauptamt), qui organise l’exploitation des détenus dans les camps de concentration ».

Gestapo et SS

« Il est donc important de faire la distinction entre la police d’État et les organisations du parti comme la SS. La Gestapo et la police criminelle ont effectivement pour mission officielle de veiller au respect du code pénal.

« Quant à la SS, elle n’est pas tellement présente dans le Reich allemand. Bien sûr, elle a aussi ses compétences, mais lorsque le pays bascule dans la dictature, elle n’est pas visible dans la vie publique et ne fait pas l’objet de campagnes de propagande particulière. Elle n’est pas chargée des arrestations, par exemple.

« En réalité, de nombreux hommes sont à la fois membres de la Gestapo et de la SS. Cela les conduit à arborer leur uniforme SS lors de séances photo. Cependant, ils ne le portent pendant leur service en tant que policiers. Mais ils le portent lors de réceptions publiques, par exemple, durant lesquelles ils ne répugnent pas à se faire prendre en photo. Donc, Gestapo et SS se mélangent, ce qui complique encore les choses ».

« La Gestapo devant ses juges »

« Pour sélectionner les cas que nous mettons en avant dans l’exposition temporaire « La Gestapo devant ses juges », nous avons utilisé une méthode simple. Nous abordons les enquêtes et les procès dont certains individus ayant travaillé pour la Gestapo du Wurtemberg font l’objet entre 1945 et les années 1980. Mais les crimes que nous passons en revue n’ont pas nécessairement eu lieu dans ce Land, dans la mesure où une part importante du personnel de la Gestapo locale était disséminé sur l’ensemble des territoires occupés. Cela permet de donner à notre expo une perspective européenne.

« Prenons les procès d’Auschwitz (1963-65) par exemple. Ils représentent à l’époque un événement médiatique important. Tous les journaux en parlent, y compris à l’étranger. Ils façonnent encore aujourd’hui notre vision de la manière dont la justice traite les crimes nazis.

« L’un des principaux accusés, Wilhelm BOGER, apprend son « métier » ici à l’Hôtel Silber dans les années trente. Au début des années 1930, il est encore simplement un jeune homme au chômage. Puis il s’engage au sein de la police politique, où il grimpe les échelons hiérarchiques. Cela le conduit à intégrer l’unité de la Gestapo affectée à la surveillance des détenus du camp d’Auschwitz-Birkenau (section politique) ».

Hôtel Silber la Gestapo devant ses juges
« La Gestapo devant ses juges ». (c) Daniel STAUCH pour L’Hôtel Silber.

Wilhelm BOGER, le type même du perpétrateur « sadique »

« L’histoire de Wilhelm BOGER est intéressante en ce qu’il en est venu à représenter le type même du perpétrateur sadique. C’était un homme extrêmement violent. Il a commis des actes de maltraitance grave sur de nombreuses personnes. Les témoignages de victimes ayant survécu à ses sévices sont extrêmement difficiles à écouter. Par ailleurs, il a directement commis 114 meurtres prouvés. Pendant son procès, il fait preuve d’une absence totale d’empathie en ne manifestant pas la moindre émotion. Et c’est ainsi que dans les reportages, il finit par incarner aux yeux du public l’image du pur sadique avec ses accès de violence et de fureur sanguinaires inouïs !

« Cependant, nous nous demandons si le fait de se focaliser sur des cas comme le sien ne constitue pas une décharge pour le reste de la société. Pour contrebalancer le cas de Wilhelm BOGER, nous présentons celui de Wilhelm HASTER ».

Wilhelm HASTER, le criminel “bien” sous tous rapports

« Wilhelm HARSTER était un juriste diplômé, il s’exprimait de manière extraordinairement élégante, ayant reçu une éducation humaniste pendant la République de Weimar. Il faisait partie du socle de la classe moyenne éduquée allemande. Cela ne l’a pas empêché de déporter 100.000 Juifs néerlandais en tant que chef de la Gestapo aux Pays-Bas. Auparavant, il était le chef-adjoint de la Gestapo à l’Hôtel Silber.

« Autrement dit, cet homme aurait pu être un voisin. Il était bien intégré, ce n’était pas un marginal. Il faisait partie d’une certaine élite de citoyens éduqués. Sans doute n’a-t-il jamais maltraité quelqu’un personnellement. Il a simplement organisé tout cela depuis son bureau ».

Une vision d’ensemble

« Il est donc très important de ne pas se concentrer sur les cas les plus extrêmes, mais d’avoir une vision d’ensemble. C’est ce que nous essayons de faire dans l’exposition. Cela nous amène à utiliser l’expression : « criminels de bureau ».

« En Allemagne, lorsque nous évoquons les perpétrateurs de crimes nazis, nous utilisons volontiers cette expression quand elle s’applique. À cet égard, le criminel de bureau le plus célèbre est sans doute Adolf EICHMANN. Notamment lorsque son cas est analysé par Hannah ARENDT lors de son procès à Jérusalem (1961). Sauf qu’EICHMANN ne se contentait pas de donner ses ordres de loin. Ils venaient aussi sur place pour veiller à ce que ses instructions soient bien exécutées” ».

A lire également : Lieux de mémoire : L’Hôtel Silber de Stuttgart et le rôle de la Gestapo, pilier central sécuritaire du pouvoir nazi (Friedemann RINCKE).

La Gestapo, bureaucratie du crime

« Le terme de « criminel de bureau » fait référence à l’ensemble de la machine bureaucratique nécessaire pour que de tels crimes puissent être commis. Car il fallait une préparation logistique, juridique, organisationnelle, etc. Cela représente une partie essentielle du processus, peut-être même la plus importante. Et cela était mis en œuvre pour l’essentiel par des personnes bien formées, provenant de la classe moyenne.

« Ce n’était donc pas une frange de la société seulement qui a organisé et planifié les crimes, mais bien la société dans son ensemble.

« Nous souhaitons que le public puisse se faire sa propre opinion lorsqu’il quitte l’Hôtel Silber. Beaucoup de gens s’intéressent à cette page sombre de l’Histoire du pays, car elle est en lien avec leur propre histoire familiale. « Mon grand-père était ici, il a été arrêté et interrogé à l’Hôtel Silber », entendons-nous dire souvent. Si les gens peuvent faire le lien entre l’Histoire avec un grand H et leur propre histoire familiale, nous estimons avoir réalisé une partie importante de notre travail… ».

Plus d’informations en cliquant ici.

Hôtel Silber / ancien siège de la Gestapo du Wurtemberg / Dorotheenstraße 10 / D-70173 Stuttgart

Ouvert du mardi au dimanche entre 10h et 18h / nocturne le mercredi jusqu’à 21h / Fermé le lundi.

Exposition permanente : entrée libre / Exposition temporaire : 2 €.

Friedemann RINCKE nous décrit le travail de conservation réalisé au sein de l’Hôtel Silber, lieu de mémoire hautement symbolique de Stuttgart puisqu’il abritait les siège de la Gestapo pour tout le Wurtemberg. Lui et son équipe démontrent notamment la nécessité de soumettre la police à l’Etat de droit, sous peine d’en arriver à de graves dérives, comme durant l’époque national-socialiste. Photo et vidéo : (c) La TDI. Musique : (c) ES_Time (Don’t Move) – Fleurs Douces.

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