« Le féminisme n’a jamais tué personne. Le machisme tue tous les jours ». Benoîte GROULT (1920-2016), journaliste et romancière.
Rien de nouveau sous le soleil : la violence conjugale, véritable fléau de société, touche majoritairement les femmes. Elle impacte tous les membres du foyer et inquiète quant à l’exemple donné aux jeunes générations. En effet, les enfants, témoins de ces violences, ont un risque plus élevé, à l’âge adulte, de devenir eux-mêmes bourreaux ou victimes. Anne JOSELEAU, directrice de Solidarité Femmes 21, nous partage son expérience dans le domaine des violences intra-familiales, ainsi que le travail mis en place par son association pour venir en aide aux victimes.
« La Fédération nationale Solidarité Femmes a été créée en 1987 depuis la base en remontant jusqu’au sommet. Des associations locales ont ainsi choisi de se fédérer au niveau national ». Aujourd’hui, elle regroupe 83 associations, en France métropolitaine et en outre-mer. Certaines associations ne sont composées que de bénévoles, mais la plupart comptent des professionnels : intervenants sociaux et psychologues.
La mécanique de la violence
« Il n’existe pas de profil type. Nous accueillons des femmes de tous âges, tous milieux et toutes cultures ». Bien que 95 % des victimes soient des femmes, il arrive que les violences soient commises par des femmes. De plus, cette mécanique touche aussi les couples homosexuels. À juste titre, on peut se demander pourquoi les victimes ne quittent pas le foyer dans lequel elles ne sont plus en sécurité. Et si elles franchissent le cap, pourquoi certaines retournent vivre auprès de leur conjoint violent ? Cela rend le phénomène difficile à appréhender. Il faut donc se pencher sur la mécanique de la violence au sein de laquelle la victime se retrouve enfermée.
Une personne sous emprise voit son corps et son esprit paralysés. Elle perd petit à petit confiance en elle et ne se sent plus libre de penser par elle-même. L’agresseur répète inlassablement le même cycle en emprisonnant progressivement sa victime. Bien souvent, la violence repose sur une part de manipulation. L’agresseur se montre d’abord sous son plus beau jour (« lune de miel »), puis il commence à faire pression (« mise en tension »), avant que la violence n’explose (« agression »). Cette mécanique pousse les victimes à espérer, lors du retour à « la lune de miel », que les violences s’arrêtent pour de bon… ce qui est rarement le cas !
Les types de violences
Car les violences continuent tant que la relation fonctionne sur le modèle du dominant au dominé. Cette asymétrie débouche sur différents types de violences : psychologique, verbale, économique, sociale, sexuelle et physique. Contrairement aux idées reçues, la violence conjugale ne passe pas toujours par une forme d’agression physique. Un conjoint peut se montrer violent psychologiquement sans pour autant battre sa femme. En revanche, lorsque la violence physique se manifeste, l’emprise psychologique est déjà là.
Cette emprise se développe par cycles. Mais en quoi consiste-t-elle précisément ? En rabaissant, insultant et en menaçant sa compagne, « l’auteur de violences dispose d’un contrôle total sur la vie et les pensées de sa victime. Cette dernière ne peut plus décider par elle-même de peur des représailles », explique Maître Cécile KERNER, avocate au barreau de Montargis. De plus, l’auteur manipulateur parvient à faire porter le blâme à la victime. La privant souvent de sommeil, il l’épuise physiquement et moralement. Ce type de violences demeure complexe à prouver et isole davantage la victime.
Solidarité Femmes : écouter et aider les femmes à se reconstruire
« Notre première mission consiste à accueillir, écouter et orienter ». Solidarité Femmes propose de rencontrer des travailleurs sociaux. Ils recueillent la parole des femmes et les aident à répondre aux questions qu’elles se posent. Ces assistantes sociales peuvent également les orienter vers des partenaires extérieurs. Pour des questions d’hébergement d’urgence, de relogement, de droit familial ou de protection.
Un suivi auprès d’une psychologue de l’association peut aussi être proposé. « Nous ne jugeons pas les femmes que nous accueillons. Nous cherchons à les aider dans leur démarche de séparation, mais ce n’est pas une obligation. Dans tous les cas nous les soutenons dans les choix qu’elles veulent mener à bien ».
Afin de permettre aux femmes de reprendre confiance en elles, Solidarité Femmes 21 propose divers ateliers, créant du lien social tout en partageant leurs expériences. Des séances de yoga leur sont proposées pour les aider à renouer avec leurs émotions et les ressentis de leur corps. Des bains muséaux sont également mis à l’honneur dans un atelier ouvrant le champ de l’expression graphique. Un stage concernant la parentalité et prévenant les risques de communication violente leur permet également de retrouver des valeurs saines à transmettre.
L’association Solidarité Femmes : changer la loi
Solidarité Femmes rencontre régulièrement des professionnels de santé, de sécurité infantile, des services de police, de gendarmerie ainsi que ceux de la justice. Car l’association a pour mission d’informer sur les violences. Elle suggère notamment la rédaction de nouvelles lois. Même si le nombre de féminicides en France reste toujours élevé, ces textes permettent de mieux protéger les femmes.
Cependant Anne JOSELEAU déplore que certaines lois ne soient pas davantage respectées. En effet, afin de rétablir du lien dans des couples parentaux déséquilibrés, des médiations familiales sont, de nos jours, encore proposées. « La médiation dans un contexte de violence est contraire à la loi. Il faut la proscrire car l’agresseur en ressort toujours plus fort et la victime, encore plus affaiblie ».
Former pour une meilleure prise en charge
« Les formations sont fondamentales et permettent d’appréhender les processus de la violence ainsi que leurs conséquences. Nous formons plus d’une centaine de professionnels chaque année : des intervenants sociaux, des gendarmes, des policiers, des personnels de santé et de justice ». En mêlant ces professionnels venant de différents milieux, Solidarité Femmes 21 favorise l’échange entre les organismes confrontés aux violences. Cela permet de visualiser les problématiques dans chaque secteur. La prise en charge des victimes et des agresseurs s’en retrouve améliorée.
« Nous souhaitons que les professionnels développent un langage commun pour les aider à décrypter le fonctionnement de la violence conjugale. Et la manière dont elle impacte les victimes, les agresseurs et les enfants ». Grâce au travail de Solidarité Femmes, il y a au minimum un référent formé par unité de gendarmerie. Les services de police sont moins demandeurs de formation mais des assistantes sociales et psychologues sont présents dans les commissariats.
L’importance du suivi des auteurs de violence
Lors de ces formations, Solidarité Femmes 21 fait aussi appel à des spécialistes externes. Une docteure en psychologie clinique, intervenante auprès d’auteurs de violences en milieu carcéral, ainsi qu’un superviseur et thérapeute, intervenant auprès d’auteurs de violences conjugales, viennent ainsi présenter les mécanismes psychologiques des agresseurs. Car il est tout aussi important de comprendre pourquoi les femmes tombent sous leur emprise que de percevoir les mécanismes destructeurs des hommes violents.
Des associations aident également les auteurs de violence à se responsabiliser face à leurs actes et ainsi prévenir les récidives. Une étude de l’université de Laval a proposé la rédaction d’un guide à ce sujet. « Les participantes et participants ont souligné que la responsabilisation permettait à l’auteur de violences de récupérer son humanité et de comprendre qu’il avait le pouvoir de changer ».

Solidarité Femmes : in fine, améliorer la sécurité des victimes
Avec le recul, Anne JOSELEAU souligne que les choses évoluent, notamment au niveau de l’écoute et de l’accueil. « Les policiers et gendarmes ont des grilles spécifiques pour soutenir les victimes lors des auditions ». Les éléments fournis à la justice sont donc plus complets et permettent de mieux mesurer le danger de chaque situation. « Des dispositifs se sont ainsi mis en place ».
Des téléphones grave danger permettent à la victime d’alerter en urgence les services de police les plus proches. Ils sont souvent alloués lorsqu’un conjoint ou ex-conjoint violent sort de prison. Des bracelets anti-rapprochement, par le biais de la géolocalisation de l’auteur et de la victime, permettent de vérifier en permanence que le périmètre de sécurité est bien respecté. Enfin, une ordonnance de protection interdit à l’auteur des violences de se rendre dans certains lieux, de se rapprocher de la victime ou de porter une arme. « Nous souhaiterions, pour l’ordonnance de protection ou pour l’éviction des conjoints violents, qu’elles soient bien davantage prononcées qu’elles ne le sont actuellement », précise Anne JOSELEAU.
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Les exemples venus de l’étranger
Le nombre de féminicides reste toujours élevé en France. 122 en 2024, dont 94 commis par des conjoints ou ex-conjoints. Anne JOSELEAU souligne le cas de l’Espagne. Ce pays est parvenu à diviser par deux le nombre de féminicides, en alourdissant les peines prononcées. La prise en charge des auteurs a également été renforcée.
« Il faut regarder tous les aspects du problème. Et surtout commencer la prévention dès l’enfance. Les femmes, lorsqu’elles rencontrent des difficultés dans leur vie, savent demander de l’aide, notamment psychologique, alors que les hommes ne font pas souvent cette démarche ». Les États-Unis sont aussi en avance dans ce domaine car les auteurs de violence sont légalement dans l’obligation de se faire soigner. Même si le volontariat semble plus approprié dans le cadre d’un suivi psychologique, les études prouvent que la récidive a diminué.
Anne JOSELEAU souhaiterait que la France prenne exemple sur ces pays. Car ils ont mis en place des mesures efficaces pour lutter contre les violences et les récidives. Malgré tout, elle reste optimiste : « Les choses bougent rapidement et les nouveaux dispositifs se multiplient ».
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Anne JOSELEAU, directrice de Solidarité Femmes 21 nous fait découvrir le travail de longue haleine des associations de lutte contre les violences faites aux femmes. Au cœur des violences conjugales, comment les victimes et leurs enfants peuvent-ils être protégés ? Photo : (c) Anne JOSELEAU. Vidéo : (c) LaTDI.
