Après un premier article consacré à l’exposition du musée Topographie des Terrors, Reinhard HEYDRICH. Carrière et violence, nous continuons notre entretien avec son commissaire, Andreas MIX. Il nous parle de la mort de HEYDRICH en 1942, tué dans un attentat alors qu’il se déplace sans escorte dans les rues de Prague. Cette mort violente le transfigure en héros aux yeux des nazis. Pour les autres, il demeure à jamais le « Boucher de Prague »…
C’est à Prague que la vie de Reinhardt HEYDRICH s’achève dans la violence. La période de sa vie qu’il passe à Prague représente le summum de sa carrière, même si elle ne dure que de septembre 1941 à juin 1942. À cette période, il fait constamment l’aller-retour entre Berlin et Prague car il assume un double rôle. En même temps qu’il est le Protecteur de Bohême-Moravie, il n’en demeure pas moins le chef du Reichssicherheitshauptamt, c’est-à-dire le Bureau central de la sûreté du Reich.
C’est vraiment à partir de sa nomination en tant que protecteur de Bohême-Moravie en septembre 1941 qu’il « entre dans la lumière ». Avant cela, il est déjà puissant, mais il reste en coulisses. Les organismes qu’il dirige, la Gestapo, le SD, la police criminelle, ne sont pas très visibles. Par contraste, à partir de 1941, il devient une figure politique publique majeure. Il est présenté comme le protecteur du peuple allemand, on le voit sur les marches du château de Prague, entouré de photographes. C’est à ce moment-là qu’il devient une sorte d’icône du régime nazi. À Prague, il s’occupe de tout : sécurité, culture, économie.
Une mort instrumentalisée par le régime
Cependant, sa carrière est stoppée net alors qu’il est victime d’un attentat à Prague en juin 1942. À partir de ce moment, son image devient encore plus prégnante, à tel point qu’il reçoit le surnom de “Bête blonde”. La propagande nazie en fait une sorte de mythe : HEYDRICH devient l’incarnation idéale du SS, du parfait représentant de l’ordre nazi, de l’homme allemand modèle. Et cette image héroïsée survit au-delà de la guerre. Aujourd’hui, elle reste présente dans l’imaginaire collectif. « Mais, avec une tout autre connotation, bien entendu. Ce qui était vu positivement en 1943-44 est aujourd’hui regardé comme une chose terrifiante, voire monstrueuse ».
Sa mort est donc instrumentalisée par le régime nazi. Il reçoit des funérailles nationales. La première cérémonie a lieu à Prague, puis la seconde à Berlin. On voit sur certaines photos HITLER accompagné des fils de HEYDRICH pendant leur montée des marches vers le service commémoratif. Le Führer ne prononce cependant qu’un court discours. L’oraison funèbre principale est prononcée par HIMMLER. Le régime veut faire de cet événement un moment très fort.
La légende de la « Bête blonde »
Au moment de se conclure, l’exposition interroge la double-image laissée par HEYDRICH, entre séduction et monstruosité. Le mythe HEYDRICH, c’est aussi celui d’un homme rusé, machiavélique, dominateur et froid. Ses collaborateurs eux-mêmes, ou ceux qui lui ont succédé perpétuent cette image. « Souvent pour se dédouaner. C’est un schéma classique : on désigne un homme comme responsable absolu, ce qui permet aux autres de passer sous silence leur propre responsabilité. Ces récits ont été repris dans des interrogatoires, des mémoires, des films. Ils ont servi à nourrir la légende ».
L’exposition présente ainsi des témoignages d’anciens collaborateurs de HEYDRICH. Par exemple, un ancien employé de la police criminelle, interrogé dans les années 1950, parle longuement de HEYDRICH dans une interview au Spiegel. Il décrit un homme redouté, manipulateur, omniprésent. Tout le monde semblait le craindre. Même HIMMLER, selon certains. Lors du procès de Nuremberg, Ernst KALTENBRUNNER, son successeur, dit : « Moi, je faisais le même travail que lui, mais HEYDRICH était bien plus puissant ».
Il s’agit là bien évidemment d’une stratégie de défense pour ne pas avoir à assumer la responsabilité des atrocités commis par le Reichssicherheitshauptamt à la tête duquel il succède à HEYDRICH.
Lina von OSTEN tente de réhabiliter la mémoire de son mari HEYDRICH
Sa femme, Lina von OSTEN, en restant fidèle à ses convictions nazies même après la guerre, contribue également à forger sa légende. Elle retourne vivre sur l’île de Fehmarn avec ses enfants. Jamais elle ne reniera son engagement. Elle se bat même pour obtenir une pension en tant que veuve d’un ancien haut fonctionnaire nazi. Et elle obtient gain de cause dans les années 1950.
Cela provoque bien entendu un énorme scandale. Mais elle ne s’arrête pas là, en prenant position publiquement. Dans les années 1970, elle écrit à la rédaction du Spiegel, le grand hebdomadaire allemand de centre-gauche, des lettres prenant fait et cause pour son défunt mari. En 1976, elle publie un livre de souvenirs — un tissu de mensonges — dans lequel elle continue de défendre la mémoire de HEYDRICH.
En 1979, une équipe de la télévision tchécoslovaque vient l’interviewer. « C’est une séquence incroyable. Elle ne montre aucune empathie pour les victimes. Aucune distance. Elle croit toujours à l’idéologie nazie. Et ce qui est frappant, c’est qu’elle le dit sans détour, sans se soucier des critiques. Elle parle sans filtre. C’est froid, brutal. Il n’y a aucune remise en question. Contrairement à quelqu’un comme Leni RIEFENSTAHL, par exemple, qui était beaucoup plus ambigüe dans ses propos ».

Thomas MANN : le point de vue des victimes de HEYDRICH
Pour présenter le point de vue des victimes de HEYDRICH, l’exposition se focalise sur quelques histoires individuelles. Par exemple, celle de Thomas MANN, le grand écrivain allemand. Ce dernier avait pris fait et cause pour la République de Weimar. Il n’était pas un militant de la première heure. Cependant, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, il se prononce clairement en faveur de la démocratie. Il quitte l’Allemagne avant l’arrivée de HITLER au pouvoir. Un jour, son avocat écrit une lettre au gouverneur nazi de Bavière, pour demander dans quelles conditions son client pourrait revenir à Munich. Il y possédait en effet une maison, une bibliothèque. Il voulait donc savoir s’il pourrait un jour les récupérer.
Le gouverneur nazi de Bavière transmet la lettre à HEYDRICH, à l’époque responsable de la police politique bavaroise. Et HEYDRICH rédige un rapport de plusieurs pages, expliquant les raisons pour lesquelles Thomas MANN est, selon lui, un ennemi du peuple et un ennemi du Reich. Par conséquent, il convient de l’arrêter pour l’envoyer à Dachau. Thomas MANN ne reviendra jamais vivre en Allemagne…
Après la mort de HEYDRICH, Thomas MANN, depuis son exil à Londres, enregistre une série de discours pour la BBC, à l’attention du public allemand. Dans l’un de ces textes, il parle de HEYDRICH, de ses crimes, de l’absurdité de voir un tel homme honoré par des funérailles nationales. Il dit : « Voilà un assassin, un criminel, à qui l’on a offert une cérémonie officielle, une tombe d’État ! »
Reinhard HEYDRICH. Carrière et violence : une exposition appelée à voyager
Après Berlin, l’exposition Reinhard HEYDRICH. Carrière et violence doit être montrée à Halle, ville dont est originaire HEYDRICH, à partir de février 2026. Ensuite, elle ira à Kiel, capitale du Schleswig-Holstein. L’épouse de HEYDRICH, Lina, est née non loin de là, sur l’île de Fehmarn, en mer Baltique. Elle y vit après la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à sa mort en 1985. HEYDRICH, quant à lui, en tant qu’officier de marine, vit et travaille à Kiel pendant huit ou neuf ans, dans les années 1920 et au début des années 1930.
Il passe aussi régulièrement ses vacances sur l’île de Fehmarn, dans la mesure où sa bell-famille y a ses attaches. C’est en raison de ses liens étroits avec le Schleswig-Holstein et Kiel que l’exposition y sera présentée. Il y aura également par la suite une version tchèque qui sera présentée à Prague.
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Topographie des Terrors : évolution de l’exposition permanente
À l’heure actuelle, Andreas MIX travaille à la refonte complète de l’exposition permanente. Elle sera remplacée par une nouvelle version, avec davantage de contenus multimédias. Ce sera toujours une exposition très dense en informations. « Très sérieuse, bien sûr. Le contenu demeurera rigoureux ».
Cependant, la nouvelle version intégrera davantage d’éléments visuels, interactifs, « car nous avons bien conscience qu’il est vraiment difficile pour les visiteurs de tout assimiler. C’est trop dense, trop complexe, notamment pour les touristes. C’est pourquoi nous allons mettre en place un système modulaire ».
Si un visiteur s’intéresse ainsi à un sujet particulier, il pourra l’approfondir grâce à des stations multimédias (fenêtres numériques, projections, mapping vidéo) présentant des Klarfilms ou petits films explicatifs. « C’est un peu ce que nous faisons déjà, mais nous voulons aller plus loin dans cette direction. Le but est d’offrir davantage de portes d’entrée, de filtres d’information, de formats de présentation sur une sujet difficile de l’histoire de notre pays, mais qu’il est néanmoins indispensable de bien connaître ».
Plus d’informations en cliquant ici.
Signalons à nos lecteurs le film HHhH, réalisé par Cédric Jimenez, sorti en 2016 et retraçant la vie de HEYDRICH jusqu’à sa mort en 1942, quand il est tué dans le cadre de l’opération Anthropoïd menée par les services secrets britanniques en collaboration avec la résistance tchèque. D’après le livre éponyme de Laurent BINET, sorti en 2010 et couronné par le prix Goncourt du premier roman.
Andreas MIX, commissaire de l’exposition Reinhard HEYDRICH. Carrière et violence présentée au musée Topographie des Terrors à Berlin, revient sur l’ascension fulgurante de HEYDRICH jusqu’au sommet de l’appareil sécuritaire de l’Etat nazi. Photo : (c) Topographie des Terrors. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Mainlander – Dream Cave.
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