Viktor KYRYLOV Maintenant je n'écris plus qu'en français

« Maintenant, je n’écris plus qu’en français » : les mots de l’exil par Viktor KYRYLOV, acteur ukrainien devenu francophone

Comédien ukrainien réfugié en France, Viktor KYRYLOV est seul sur scène avec son spectacle Maintenant, je ne parle plus qu’en français. À travers l’émotion et l’humour, il raconte son exil et sa nouvelle vie passant par l’apprentissage de notre langue. Auteur et interprète, le théâtre lui permet ainsi de se reconstruire. Au-delà d’un réfugié, il se définit comme un être humain, tout simplement !

Écrit par Rudy CAMUS

Cela fait bientôt quatre ans que Viktor KYRYLOV attend de pouvoir retourner dans son pays, l’Ukraine. En 2022, tout le monde pensait que la guerre serait de courte durée, six mois tout au plus. Étudiant en art dramatique en Russie lorsque le conflit éclate, il doit quitter précipitamment ce pays désormais « ennemi ». Il laisse derrière lui scène, mots, langue dans laquelle il apprenait à jouer. Depuis, l’artiste-auteur raconte cette blessure, puis sa renaissance dans sa pièce de théâtre, Maintenant, je ne parle plus qu’en français.

La Mouette de TCHEKHOV, un miroir du destin : guerre et exil

Moscou. Veille du 24 février 2022. Viktor KYRYLOV s’apprête à jouer La Mouette de l’auteur russe Anton TCHEKHOV. Tout est prêt : décor, lumières et costumes. La journée s’achève sur la répétition générale. Le lendemain, ce sera la première. Mais peu avant l’aube, à l’heure où les consciences sont encore endormies, la réalité interrompt la fiction. La Russie vient de lancer son « opération spéciale » contre l’Ukraine, qui ressemble à s’y méprendre à une guerre « classique ».

Ce hasard tragique fait de La Mouette un symbole. Dans la pièce, Konstantin TREPLEV rêve d’un théâtre nouveau, libre et sincère. Il cherche sa voix, mais se heurte à l’incompréhension, au poids du passé, à l’échec. Viktor KYRYLOV, lui, voit son art interrompu, son avenir effacé. « J’étais censé jouer et soudain la réalité est devenue plus tragique que la scène. Mon rêve n’avait plus de sens ».

Comme TREPLEV, Viktor KYRYLOV cherche à se réinventer. Mais là où le héros de TCHEKHOV se retire dans le silence, Viktor choisit l’exil et entreprend la refonte de son identité.

Viktor KYRYLOV : d’Odessa à Moscou…

Né en 2001 à Odessa, Viktor KYRYLOV grandit avec deux langues : l’ukrainien et le russe. « Odessa est une ville à part, principalement russophone, sans jamais s’être considérée comme russe. C’est le cas dans beaucoup de régions limitrophes post-soviétiques : les langues locales cohabitent avec le russe ».

C’est sur l’impulsion donnée par un rêve qu’il décide, encore adolescent, de dédier sa vie au théâtre. Après son baccalauréat, il intègre l’Académie russe des arts du théâtre (GITIS) à Moscou, où il perfectionne sa formation d’acteur selon la méthode STANISLAVSKI. Une école réputée à l’international. « Je voulais jouer en russe. Travailler avec les grands auteurs russes. J’étais baigné dans cette culture, dans cette poésie, dans cette littérature ».

… avant la fuite à Paris

Mais la guerre éclate. À seulement 20 ans, sa vie bascule. Il doit quitter Moscou et tout abandonner : études, amis, idiome. « Je voulais rentrer chez moi, vivre chez moi. Mais ma mère m’a dit : ne fais pas de bêtises, ne rentre pas ! »

Au septième jour de guerre, il traverse l’Europe en bus. Il séjourne d’abord quelques semaines en Estonie, avant de reprendre la route jusqu’à Paris avec de l’argent confié par un ami. Puis Paris l’envoie dans un hameau des Pays de la Loire, où il est recueilli dans un couvent. « Partir, c’est très difficile. Beaucoup préfèrent rester, même sous les bombes, plutôt que de tout quitter. Car, pour eux, un tel arrachement reviendrait à la mort ! »

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Le français comme arme de survie, une langue comme refuge

Il apprend le français auprès des religieuses qui l’on recueilli : « Il n’y avait rien d’autre à faire que d’apprendre le français. Lire mes livres en russe ? Hors de question, je les ai tous jetés. Je ne voulais plus lire en russe ».

Un soir, après un mois, il assiste à une représentation d’élèves dans une petite salle sans prétention. « J’étais tellement ému. J’ai compris que je voulais rejouer. Quand on a commencé le théâtre, c’est difficile de s’arrêter … » se souvient-il.

Le lendemain, il écrit au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD). Il y est accueilli comme étudiant réfugié. Pendant un an et demi, il découvre la littérature et le théâtre français : MOLIÈRE, RACINE, Wajdi MOUAWAD. « J’avais besoin de maîtriser la langue française. J’ai pris le temps pendant le conservatoire de lire puisque j’allais jouer dans cette langue. Je rêve de jouer Hernani de Victor HUGO », se confie-t-il.

Viktor KYRYLOV : un élève académicien à la Comédie-Française

L’envie de remonter sur scène guide Viktor. Il recherche un poste d’ouvreur de théâtre pour continuer de de répéter le jour, tout en travaillant le soir. Or, le seul théâtre ayant répondu à ses lettres de candidature n’est autre que la vénérable Comédie-Française. Il est ainsi engagé à la salle Richelieu, où il travaille six mois durant.

Un jour, il découvre une annonce interne : un concours pour devenir élève académicien. Il tente sa chance. En septembre 2023, Viktor intègre l’Académie de la Comédie-Française. Sous la direction d’Éric RUF, il travaille avec Denis PODALYDÈS, Lilo BAUR, Christian HECQ, Valérie LESORT et Guy CASSIERS. Un accomplissement inespéré pour celui qui, un an plus tôt, ne savait encore que quelques mots de français !

Au sortir de sa formation, un premier seul en scène « lumineux et fort » (Éric RUF)

Lors de la carte blanche venant conclure son année d’élève académicien, il présente une première ébauche d’un seul en scène : Moi, la guerre, l’exil, ou comment je suis arrivé en France. Sa première sortie de résidence se déroule au Français, sous les regards bienveillants d’Éric RUF et les conseils en dramaturgie de Laurent MULHEISEN.

« Viktor KYRYLOV porte en lui les contradictions et l’absurde de cette guerre fratricide. Son seul en scène apporte un éclairage singulier et profond. Il est lumineux et fort », confie Éric RUF, ancien administrateur général de la Comédie-Française.

Viktor KYRYLOV Maintenant je n'écris plus qu'en français
Viktor KYRYLOV dans Maintenant je n’écris plus qu’en français. Prise de vue : (c) Pauline LE GOFF.

Le Théâtre de Belleville produit son premier spectacle : Maintenant, je n’écris plus qu’en français

Emballé, le directeur du Théâtre de Belleville Laurent SROUSSI propose à Viktor KYRYLOV de produire son spectacle. Il peaufine alors son premier seul en scène. Le 4 avril 2025, il en donne la première représentation : l’accomplissement d’un long chemin.

À travers son texte, Viktor ne cherche pose les questions qui le taraudent, comme s’il s’adresserait à un ami proche : « Comment la guerre arrive dans nos vies ? Comment bouleverse-t-elle une existence, une identité ? »

Il y raconte les amitiés brisées, sa mère lui interdisant de rentrer, le silence des amis restés en Russie, sa culpabilité et sa colère. Le récit intime se mêle à la grande histoire — entre famille et patrie, jeunesse et mort, trahison et amour. Sur le plateau, il mêle distance et émotion, humour et douleur. Le théâtre devient un lieu de survie, un espace où tout peut encore être dit.

Viktor KYRYLOV : un auteur de langue française

Aujourd’hui, Viktor KYRYLOV écrit, joue, et continue de rêver. Il n’a pas choisi son déracinement, mais il a fait le choix des mots. C’est avec le français qu’il reconstruit sa maison. « C’est difficile de quitter sa vie, mais c’est encore plus difficile d’y survivre », dit-il dans son spectacle.

Maintenant, je n’écris plus qu’en français est un acte de résistance poétique — le geste d’un homme qui, au milieu du chaos, prend la parole. Le comédien nous rappelle que le théâtre n’est pas seulement un art : c’est une manière de se tenir debout. Sur scène, il avoue que le fait de parler russe lui est devenu douloureux. « Entre l’ukrainien et le russe, je prends le français. Même si c’est la langue de mon exil, elle me permet de respirer à nouveau ».

Cette décision, il la transforme en geste artistique. Maintenant, je n’écris plus qu’en français est né de cette nécessité : « il n’y a que moi qui puisse raconter mon histoire ». Il raconte la guerre et ses ravages, y compris à l’intérieur d’un être humain — avec l’espoir, toujours, de rentrer chez lui, un jour.

Le silence de TREPLEV. Le cri de KYRYLOV.

Les échos de la voix de TREPLEV, jeune homme blessé, incompris, avide d’absolu — accompagnent encore KYRYLOV. Quand on lui demande s’il pense pouvoir un jour rejouer TCHEKHOV, il répond avec fermeté : « Non, je ne peux pas. Et je ne sais pas si je pourrai le faire un jour ».

Alors, peut-être, le silence de TREPLEV se transformera en un cri : « J’ai tiré sur la mouette… sans savoir pourquoi. »

Maintenant, je n’écris plus qu’en français de Viktor KYRYLOV.

Spectacle repris du 2 au 24 février 2026 au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, 75011 Paris.

Découvrez le parcours de Viktor KYRYLOV, comédien ukrainien réfugié en France, qui transforme son exil en un seul en scène poignant, Maintenant, je n’écris plus qu’en français. À travers humour, émotion et théâtre, il raconte son apprentissage du français, sa reconstruction personnelle et sa vision de l’identité et de la survie. Photo : (c) Pauline LE GOFF. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) Ballade n° 1 en sol op. 23– Chopin -1938, interprété par Benno Moiseiwitsch (Odessa, Ukraine, 22.02.1890 – Londres, 09.04.1963).

Viktor KYRYLOV Maintenant je n'écris plus qu'en français
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