Créé à Grenoble en 2006 par le chef d’orchestre Patrick SOUILLOT, l’idée du Labopéra se répand désormais dans toute la France. Ismaël GUTIÉRREZ, metteur en scène du Labopéra Bourgogne, nous dévoile les coulisses d’un spectacle composé d’amateurs et de professionnels. L’aventure débute en juin 2023 avec Carmen, se poursuit en mai 2025 avec La Belle Hélène, tandis que La Traviata est d’ores et déjà programmée pour avril 2027 ! Le cahier des charges en est à la fois simple et vertigineux : démocratiser l’opéra via les plus grands classiques du répertoire francophone…
Interview réalisée et article rédigé
par notre correspondante à Dijon.
Formé au Conservatoire d’Orléans, Ismaël GUTIÉRREZ crée sa première compagnie en 1995. Puis il ouvre un café-théâtre avant de s’installer en Bourgogne. En 2005, il reprend des études dans le domaine de l’administration des métiers de la culture. Il obtient un poste à Montbard où il met en place le tricentenaire de la naissance de BUFFON. Puis il écrit et met en scène des spectacles musicaux à l’Opéra ainsi qu’aux conservatoires de Dijon et de Chenôve. « C’est à ce moment que je me suis spécialisé dans les spectacles musicaux. J’ai aussi fait la connaissance de Maxime PITOIS, le chef d’orchestre du Labopéra ».
Aux origines du Labopéra
Le Labopéra, c’est quoi ? « Un type qui reçoit un coup de couteau dans le dos et qui, au lieu de saigner, se met à chanter »i, répondrait la chanteuse américaine Judy CANOVA. Mais, plutôt que de se focaliser sur le chant lyrique, le Labopéra propose des « spectacles accessibles au plus grand nombre » en impliquant étudiants et amateurs dans leur création. Ils sont aiguillés par des professionnels : metteurs en scène, chefs d’orchestre, solistes, techniciens et costumières.
Cette collaboration permet non seulement de démocratiser l’opéra, mais également de mettre en avant et de former les jeunes au monde du spectacle. L’idée d’un opéra coopératif arrive en Bourgogne en 2022. « La Fabrique Opéra Grenoble lance un appel à projets et Maxime PITOIS en est le lauréat. Nous démarrons donc le Labopéra sans un sou en poche, sans contact ni association pour nous soutenir. Mais avec la foi », confie Ismaël GUTIÉRREZ.
« Un opéra, c’est une histoire où un baryton fait tout pour empêcher un ténor de coucher avec une soprano. » ii
Dans le premier opéra mis en scène par le Labopéra, Carmen se fait tuer par Don José, jaloux d’Escamillo. Et dans le second, Ménélas chasse Pâris de Sparte après l’avoir surpris avec sa femme, Hélène. Mais le point commun entre ces deux opéras réside avant tout dans leur livret francophone. « Cela fait partie de notre cahier des charges, l’opéra doit être en français pour permettre une compréhension simple de l’histoire ».
Afin d’attirer un large public, les opéras sont choisis parmi les œuvres les plus connues. « C’est à la fois une opportunité et un challenge de mettre en scène de tels chefs-d’œuvre. À chaque fois, je me demande comment je vais pouvoir me les approprier ».
« Comme l’opéra serait merveilleux s’il n’y avait pas les chanteurs ! » iii
Et si la solution consistait à mêler des solistes professionnels avec un chœur amateur ? « Cette émulation est très positive. Les amateurs sont ravis de jouer avec des professionnels et ces derniers ont beaucoup moins de pression ». En ce qui concerne les musiciens, pour Carmen, il s’agissait d’amateurs passionnés d’un très bon niveau. Pour La Belle Hélène, nous avons constitué un orchestre. Les chorégraphes, quant à eux, sont des professionnels et les danseurs sont recrutés à l’école Solidance.
Les 60 à 80 choristes ont répété un week-end sur deux, de septembre à mai. « J’ai travaillé avec eux uniquement la mise en scène pendant deux weekends, dans un gymnase ». Les solistes ont rejoint le projet un mois avant la représentation. « J’ai travaillé avec eux ponctuellement durant trois semaines. Et après il y a eu deux weekends en tutti avec les danseurs, mais sans l’orchestre. Les répétitions en condition de spectacle ont eu lieu au Zénith de Dijon sur trois jours seulement, l’après-midi et le soir ».
« Nos personnages sont immortels mais nous sommes plus fragiles que la soie de leur costume. » iv
De concert avec les enseignants, qui sont aussi force de proposition, une costumière professionnelle a dessiné les costumes. Les mesures des 130 participants ont été prises le jour du casting. Les étudiants ayant collaboré au projet ont choisi les étoffes les moins coûteuses pour raison budgétaire. Il a fallu encore procéder à un dernier essayage pour ajuster les costumes avant qu’ils ne soient finalisés.
Les costumes d’époque reflètent la magie de l’univers lyrique. « Les élèves et leurs enseignants étaient ravis de cette opportunité car la plupart se destinent à travailler dans l’industrie textile. Confectionner des costumes d’époque représentait un défi technique qui les a beaucoup amusés ».
« Une romance, c’est une fleur ; une symphonie, c’est un arbre ; un opéra, c’est une forêt. » v
Toujours dans l’idée de mettre en avant le savoir-faire des étudiants, des lycéens ont réalisé les décors, chapeautés par leurs professeurs et par le directeur technique. « J’ai fait un croquis qui répondait à mes besoins en matière d’entrées et de sorties de scène. Le directeur technique a validé l’idée avant que le professeur d’art appliqué (qui est aussi le président de l’association) ne réalise une maquette 3D. Puis l’équipe son et lumière a donné son aval avant que les décors ne soient mis en fabrication ».
Les élèves de lycée technique ont ensuite réalisé des plans. Ils ont mis environs six mois à construire le décor. Nous avons monté ce dernier en partie quelques mois avant la représentation, afin de pouvoir procéder à quelques retouches. Mais le suspense est resté entier jusqu’au lundi précédant la représentation où il a enfin été intégralement monté sur la scène du Zénith !

« Les gens ne savent pas ce qu’ils disent quand ils avancent que l’opéra n’est plus ce qu’il était. Il n’a pas changé… et c’est justement ce qu’on peut lui reprocher. » vi
Si le public ne vient plus à l’opéra, alors l’opéra vient au-devant de son public ! Quoi de mieux qu’un zénith pour attirer les foules ? « Ce n’est pas une légende, le côté solennel de l’opéra fait peur aux jeunes. Alors qu’ils ont l’habitude d’aller au Zénith pour y voir des stand-ups et autres concerts ». Mais dans le cas du Labopéra, dans la mesure où les lycéens avaient activement participé à la création du spectacle, ils sont venus le voir. Bien entendu, on espère qu’ils retournent voir un opéra… Et même si cela n’est pas le cas, ils auront au moins pu se faire leur propre idée !
Néanmoins, un zénith n’est pas un lieu conçu phoniquement pour accueillir de l’art lyrique. Le son doit y être amplifié. Les solistes sont donc microtés, mais ils savent adapter leur technique vocale à cette particularité. « Franck GUINFOLEAU, le régisseur son s’est même équipé d’une console spécifique pour reprendre l’orchestre, les chanteurs et la scène, sans que le public n’ait l’impression d’entendre un son amplifié ».
« De tous les bruits connus de l’homme, l’opéra est le plus cher. » vii
« Il y a une crise en ce moment dans le monde de l’opéra. C’est un secteur d’activité qui coûte très cher et il y a de moins en moins de productions ». Or, le Labopéra a trouvé le moyen de contourner cette difficulté en mêlant professionnels rémunérés et amateurs bénévoles.
De plus, pour les costumes et les décors, le Labopéra ne fournit que les matières premières. Les lycées techniques ont recours à leurs propres outils de travail. Sur le plan financier, le Labopéra viabilise le budget de ses productions. « Pour La Belle Hélène, notre budget costumes s’est élevé à 4.000 € pour 130 costumes, contre un budget pouvant atteindre le demi-million d’euros à Bastille ! »
« Le spectacle est comme un risque de mort. Il se joue au bord de quelque chose d’intimement dangereux. » viii
« Le soir de la répétition générale, je me disais que ça n’allait pas fonctionner. Et quand j’ai regardé le spectacle, j’ai pensé : C’est magique ! Je ne sais pas comment c’est possible mais ça marche ! », nous confie Ismaël GUTIÉRREZ. Et pourtant, monter un opéra avec des amateurs en ayant seulement trois jours de répétions sur scène représente un immense défi !
Ainsi, pour Carmen, l’un des solistes a chanté tout en étant malade et les costumes n’avaient pas d’ourlets. Pour La Belle Hélène, le grand lit sur roulette s’est cassé en deux dès la première répétition. Et le fronton du temple, mesurant 15m de hauteur, est tombé. « Il a fallu consolider sur place. Mais comme nous disposions de 30 techniciens, la réparation a rapidement pu être menée à bien ! À chaque fois qu’il y avait un problème, il était réglé dans les 10 minutes car nous étions nombreux. De plus, chacun savait ce qu’il avait à faire ».
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« Vous préférez l’opéra ou l’apéro ? Parce que dans la vie il y a ceux qui aiment Rigoletto et ceux qui aiment rigoler tard ! » ix
La prochaine production mettra en scène l’opéra du Brindisi (l’air à boire), l’une des œuvres les plus célèbres de VERDI ! « Je ne veux pas d’une Traviata larmoyante. J’ai envie de plutôt l’axer sur son côté jet-set, fête et champagne. Parce que, après tout, cela raconte l’histoire d’une femme gravitant dans les milieux aisés. Et je veux que jusqu’à son lit de mort, elle garde sa force de caractère et sa joie de vivre ! »
Et après La Traviata, Ismaël GUTIÉRREZ souhaite proposer un nouvel opéra tous les ans, comme pour les autres Labopéras. Rendez-vous donc les 3 et 4 avril 2027 au Zénith de Dijon pour découvrir cette nouvelle mise en scène, à la fois démocratique et féérique !
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Visionner La Belle Hélène en replay.
Ismaël GUTIÉRREZ nous plonge au cœur de la création d’un opéra coopératif. Quand les amateurs se mêlent aux professionnels pour nous enchanter avec des spectacles hauts en couleur ! Photo : (c) Ismaël GUTIÉRREZ. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) Jacques OFFENBACH, La Belle Hélène produit par le Labopéra Bourgogne et dirigé par Maxime PITOIS .
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i Judy CANOVA, chanteuse, 1913-1983.
ii George BERNARD SHAW, critique musical, 1856-1950.
iii Gioacchino ROSSINI, compositeur, 1792-1868.
iv Bernard GIRAUDEAU, acteur, 1947-2010.
v Jean-Louis-Auguste COMMERSON, dramaturge, 1803-1879.
vi Noël COWARD, dramaturge, 1899-1973.
vii Molière, dramaturge, 1622-1673.
viii Daniel BESNEHARD, dramaturge, 1954.
ix Carl ADERHOL, écrivain, 1963.

