Heidi Horten Collection Rendez-vous

Heidi Horten Collection : Rendez-vous à Vienne avec l’art français

Notre continent compte de nombreuses capitales culturelles, parmi lesquelles Paris figure en bonne place. Mais elle n’est pas la seule. Vienne est également un phare culturel européen, dont le rayonnement s’affirme par le biais de ses nombreux musées : Belvédère, Albertina, Leopold, etc. À côté de ces grandes institutions publiques, une collection privée s’affirme comme l’une des plus importantes d’Europe : la Heidi Horten Collection. Nous avons rencontré sa curatrice, Véronique Abpurg, pour qu’elle nous présente sa dernière exposition, ‘Rendez-vous’, consacrée à l’art français du 20e siècle, tel qu’il a émergé entre Paris et le Midi.

Autrichienne de mère française, Véronique Abpurg commence sa carrière dans l’art contemporain en travaillant dans une galerie à Vienne, puis au musée du Belvédère. En 2021, elle met ses compétences de commissaire d’exposition au service de la Heidi Horten Collection, quelques mois avant son inauguration en juin 2022.

Heidi Horten : une mondaine richissime devenue collectionneuse

Heidi Horten naît en 1941 à Vienne au sein d’une famille de la petite bourgeoisie. Elle vit une enfance très protégée. Ses parents lui inculquent l’amour des arts, en l’amenant dans les musées et les théâtres. Jeune adulte, elle commence à travailler dans un cabinet d’avocats, en tant que secrétaire. Alors qu’elle n’a que 19 ans, elle fait la connaissance de Helmut Horten*, richissime homme d’affaires allemand, de trente ans son aîné. Ils tombent amoureux et se marient quelques années après en 1966.

La vie de Heidi change alors du tout au tout. Elle habite désormais une luxueuse villa à Düsseldorf. Elle fréquente un monde qui lui était jusque-là étranger. En peu de temps, elle endosse parfaitement son rôle d’épouse de milliardaire. Et mène une vie mondaine extravagante, brillant en société par sa grande beauté et ses tenues haute couture.

Une des plus grandes collections privées d’art européen

Cette période de vie légère prend fin avec le décès de son mari en 1987. Elle opte alors pour un mode de vie plus discret. Et renoue avec sa passion pour l’art. Son mari lui ayant laissé une fortune estimée à plus de 2,5 milliards de dollars, elle effectue de véritables shopping tours dans les maisons de ventes. Elle apprécie particulièrement Sotheby’s, où elle fait la connaissance d’Agnes Husslein-Arco, actuelle directrice de la Heidi Horten Collection. Au fur et à mesure de ses acquisitions, elle finit par constituer l’une des plus importantes collections privées d’art européen des 20e et 21e siècles.

À côté des œuvres de grands maîtres tels que Picasso, Chagall, Miro ou encore Warhol, la Heidi Horten Collection reflète le goût éclectique de sa fondatrice. Cette dernière s’intéresse par exemple à l’arte povera. Cet ‘art pauvre’, minimal, fondé sur la récupération, naît dans l’Italie des années 60. Il est centré autour d’une certaine critique du consumérisme à outrance et du capitalisme ! D’autres œuvres de la Collection relèvent du pop art, de l’expressionnisme allemand ou de l’art contemporain autrichien et international.

collage Picasso et Miro

à gauche : Pablo Picasso, Buste d’homme, 1969.
en haut à droite : Joan Miro, Constellation, 1959.
en bas à droite : Pablo Picasso, Femme assise de profil dans un fauteuil bleu, 1960.
(c) Succession Picasso/Bildrecht, Vienne 2023. Photo : Heidi Horten Collection.

2022 : Madame Horten ouvre son propre musée

Jusqu’en 2018, Heidi Horten considère que sa collection d’art relève de la sphère privée. Cependant, à la suggestion d’Agnes Husslein-Arco, elle accepte de présenter une grande partie de sa collection au musée Leopold de Vienne. L’exposition connaît un succès tel que Heidi en ressent de la surprise. Elle est émue de constater l’intérêt manifesté par le public.

Par conséquent, elle décide de rendre son fonds artistique public et se met à la recherche d’un lieu d’exposition idéal. Comme elle est viennoise, elle tient à implanter son musée dans la capitale autrichienne. Elle finit par dénicher un endroit au centre-ville, entre l’opéra et le musée Albertina. La bâtisse est suffisamment vaste pour abriter des expos, tout en étant discrètement abritée derrière une cour. Il s’agit d’un bâtiment construit dans le style viennois du début du 20e siècle. Heidi Horten décide de n’en conserver que la façade, tout en remodelant complètement l’intérieur façon ‘white cube’. Car le palais doit être en mesure de pouvoir accueillir des expositions d’art contemporain (sculptures, performances, etc.).

Parmi les points d’intérêt du musée, Véronique Abpurg se montre particulièrement fière du salon de thé. « Il s’agit d’un endroit réalisé en collaboration avec les artistes. Nous l’avons pensé comme une salle d’exposition permanente des pièces de taille plus modeste ».

La France, point de départ de l’exposition Rendez-vous

Véronique est frappée par le nombre d’artistes français, ou ayant séjourné en France, que la Heidi Horten Collection rassemble. « Pour ‘Rendez-vous’, nous avons conçu un parcours montrant l’importance centrale de Paris au sein de la communauté des artistes. Notamment durant la première partie du 20e siècle, avec la prééminence de quartiers tels que Montmartre ou le Montparnasse. Nombre d’artistes internationaux viennent alors s’y établir, comme le Hollandais Kees van Dongen ou encore Picasso l’Espagnol. Nous avons voulu expliquer les raisons pour lesquelles ces peintres sont venus à Paris et ce qu’ils ont pu y trouver ».

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Outre Paris, ‘Rendez-vous’ évoque également l’importance du Midi : Vallauris, Antibes, etc. C’est à Vallauris, par exemple, que Picasso produit ses céramiques dont l’exposition montre plusieurs exemplaires. « À travers ces œuvres, nous avons voulu insister sur certains chapitres de la vie des artistes. Pourquoi sont-ils venus en France ? Comment ce pays a-t-il influencé leur production ? »

Un parcours d’exposition entre ville et campagne, Paris et Midi

En suivant les déambulations des artistes ayant suscité l’admiration de Madame Horten, l’exposition se décompose en plusieurs chapitres. Au rez-de-chaussée, elle se penche sur ce qu’ont vu les artistes lors de leur séjour en France et montre les paysages impressionnistes de Camille Pissarro ou Auguste Renoir. « Nous faisons le lien entre certains lieux et ce qu’ils ont représenté pour les artistes : Le Cannet pour Pierre Bonnard, Saint-Paul-de-Vence pour Marc Chagall. Paris a également droit de cité, bien entendu. Notamment les scènes de Marc Chagall représentant la tour Eiffel ou le Pont Neuf ». Le parcours se poursuit par les marines de Jean et Raoul Dufy, autrefois exposées dans la villa antiboise de Helmut et Heidi Horten.

Ensuite, le premier étage est davantage axé sur l’histoire de l’art, avec une partie consacrée à Montmartre et au Montparnasse. Une autre section se focalise sur les Première et Deuxième guerres mondiales. Nous pouvons y admirer les œuvres de Jean Dubuffet, Jean Fautrier ou encore Pablo Picasso, très fortes.

Finalement, le deuxième étage est dédié au Midi, avec les céramiques que Picasso a réalisées à Vallauris. La section consacrée à Yves Klein ouvre un chapitre plus contemporain de l’exposition. « Avec lui, note Véronique, la peinture devient immatérielle. Il a utilisé pour la première fois l’expression ‘monochrome’ alors qu’il était à la plage, en regardant le ciel bleu de Nice ».

Yves Klein à la Heidi Horten Collection

à gauche : Yves Klein, PR-1, Portrait-relief d’Arman, 1965.
à droite : Yves Klein, RE 1 (Relief éponge bleu), 1958.
(c) Heidi Horten Collection.

La vie de Heidi Horten : une exposition dans l’exposition

Par ailleurs, ‘Rendez-vous’ donne à voir, en filigrane, le mode de vie de Helmut et Heidi Horten, alors qu’ils séjournaient dans leur maison d’Antibes, la Villa Dubeau, par exemple. Cette partie de l’exposition fait référence à l’esthétique des années 1960/70, ce qui lui donne une touche retro.

Par conséquent, cette expo n’est pas exclusivement dédiée à l’art au sens strict. Elle donne aussi à voir les objets dont Madame Horten aimait à s’entourer. Cet univers est très loin de ce que peut connaître le commun des mortels. Cette partie de l’exposition est davantage destinée aux visiteurs s’intéressant à la personne même de Heidi Horten. Elle donne un aperçu du monde dans lequel elle vivait.

Les références aux intérieurs des années 60 et 70 suscitent plaisir et intérêt de la part du public. À voir les témoignages sur la vie de Madame Horten, on en retire l’impression d’une atmosphère à la James Bond. Selon Véronique, « c’est cela aussi que le public aime retrouver. Ainsi mis en condition, le visiteur peut alors se laisser immerger dans l’univers artistique de Heidi Horten ».

Au cours de la préparation de l’exposition Rendez-vous présentée à la Heidi Horten Collection de Vienne, en Autriche, la commissaire Véronique Abpurg a fait une découverte surprenante… Photo et vidéo : (c) LaTDI.

* Note de contexte :

Les conditions dans lesquelles Helmut Horten, homme d’affaires allemand de premier plan, a fait fortune sont sujettes à vive controverse. Selon l’American Jewish Committee (AJC), Helmut Horten a largement profité des lois d’aryanisation ayant abouti à la spoliation des Juifs pourchassés par les nazis. Préoccupée par ces accusations, Heidi Horten a commissionné un rapport d’étude pour faire la lumière sur le passé trouble de son mari. Elle en confie la rédaction en 2020 à Peter Hoeres, historien spécialiste de la dénazification.

Le Dr. Hoeres reconnaît ainsi que Horten a acquis plusieurs grands magasins auprès de leurs propriétaires juifs à partir de 1936, véritable point de départ de son immense fortune. Durant la période nazie, Horten se comporte en homme d’affaires sans état d’âme, n’ayant en tête que la défense de ses intérêts. Ainsi, il saisit les opportunités d’affaires que la répression nazie lui offre sur un plateau d’argent. Mais, de la même façon, quand les lois nazies entravent ses intérêts (interdiction de salarier des Juifs, émigration forcée de ses collaborateurs juifs), il les combat. Cela lui vaut d’ailleurs d’être exclu du parti nazi en 1944, subissant même une brève période d’incarcération.

À la libération, il se montre disposé à offrir de généreuses compensations à certains anciens propriétaires de ses entreprises. En outre, il est blanchi des accusations d’avoir eu recours au travail forcé. Par conséquent, le Comité de dénazification l’acquitte en 1948 (informations communiquées par la Heidi Horten Collection).

Heidi Horten Collection
Heidi Horten Collection. (c) Ouriel Morgensztern.

Exposition « RENDEZ-VOUS. Picasso, Chagall, Klein en leurs temps », du 6 mai au 29 octobre 2023.

Heidi Horten Collection, Hanuschgasse 3, 1010 Vienne, Autriche.

Ouverture tous les jours de 11 à 19 heures. Nocturne le jeudi jusque 21 heures. Fermeture le lundi.

Plus d’informations en cliquant ici.

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