Rose VALLAND résistante spoliation nazie oeuvres d'art restitution

Rose VALLAND : « On ne vole pas l’âme d’un pays en volant sa peinture ! »

Employée du musée du Jeu de Paume pendant la Deuxième Guerre mondiale, Rose VALLAND, est également l’espionne française ayant sauvé plus de 60.000 œuvres d’art du pillage nazi ! Nous vous proposons de retracer le destin exceptionnel de Rose VALLAND, en nous fondant sur la biographie publiée en 2024 par Jennifer LESIEUR.

Écrit en collaboration avec Tania LANIEL.

Novembre 1940. GOERING, Reichsmarschall du Troisième Reich, prend possession du Jeu de Paume. Devant ce débarquement d’officiers cupides, l’employée de conservation Rose VALLAND perçoit rapidement le danger de voir disparaître un patrimoine culturel inestimable. Défiant les directives du gouvernement de Vichy, elle se met en tête d’inventorier et de tracer les œuvres. Dans l’espoir qu’un jour, elles retrouvent leurs propriétaires…

Rose VALLAND : une femme dans un monde d’hommes, celui des conservateurs de musée

Rose VALLAND naît en 1898 dans un village de l’Isère. Brillante élève, elle étudie l’enseignement, puis l’Histoire de l’art et entre à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris en 1922. En 1931, elle obtient son diplôme de l’École du Louvre et devient, un an plus tard, attachée de conservation bénévole du Jeu de Paume. La mobilisation d’André DEZARROIS, responsable du musée, la propulse à la tête de cette institution en 1938.

Elle y organise une quinzaine d’expositions internationales avant que la guerre n’éclate. Son musée se transforme alors en gigantesque dépôt d’œuvres pillées par les envahisseurs. Rose VALLAND se retrouve seule face aux occupants, sans aucun pouvoir hiérarchique. En effet, en 1940, les postes de conservateur ou d’historien de l’art sont réservés aux hommes. Il faut attendre 1946 pour qu’une femme, Marie-Lucie CORNILLOT, soit nommée conservatrice d’un musée de province.

Rose VALLAND : espionne au service de l’art

Non gradée, Rose VALLAND se voit néanmoins investie par Jacques JAUJARD, directeur des Musées Nationaux, d’une mission périlleuse. Sauver de la disparition les milliers d’objets d’arts transitant par le Musée d’Art Moderne. Avec dévotion et au péril de sa vie, elle espionne GOERING et ses acolytes.

Doté d’un physique discret, elle se fond dans le décor et parvient à écouter leurs conversations. Faisant mine de travailler à son archivage, elle reste tard le soir et récupère, dans les corbeilles à papier, les carbones des officiers. Ses notions d’allemand lui permettent ainsi de traduire et de transmettre de précieuses informations à Jacques JAUJARD.

Le Führer impose sa vision au monde de l’art

Dans sa jeunesse, HITLER ambitionne de devenir artiste-peintre. Mais, après s’être vu refuser deux fois l’entrée à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, il se tourne vers la politique, notamment à la fin de la Première Guerre mondiale. Dès son accession au pouvoir, il utilise la peinture à des fins de propagande. En 1933, il fait remplacer les dirigeants culturels allemands par des hommes acquis aux idées national-socialistes, même s’ils n’ont qu’un rapport lointain avec le monde des arts.

« L’art du Troisième Reich », validé par les autorités, se développe ainsi, au gré des détestations du Führer (Emil NOLDE) et de la volonté d’hégémonie artistique de son ministre de la propagande, le Dr. GOEBBELS. Selon la volonté de ces derniers, l’art se doit de défendre les valeurs natalistes, eugénistes, racistes et ultra-nationalistes propres à Mein Kampf.

Rejet de l’art moderne, prétendument « dégénéré »

Par opposition à l’art promu par le Reich, l’art moderne est considéré comme « dégénéré ». En effet, HITLER recherche dans l’art une vision valorisante de l’humanité. Selon lui, le moderniste fait la part trop belle aux corps déformés, à la misère, aux séquelles de la Première Guerre mondiale. Une telle complaisance vis-à-vis de l’humanité blessée, qu’il assimile à des tendances pathologiques, doit être écartée du regard du public.

Surmontant son horreur pour la politique artistique nazie, Rose VALLAND y voit une opportunité ! Le 16 septembre 1941, elle s’adresse pleine d’espoir, à Jacques JAUJARD : « Il y a actuellement au musée une salle où sont exposées des œuvres d’art abstrait ou indépendant (tableaux de Picasso, Matisse, Léger, Klee, etc.). Ces peintures relevant de l’art soi-disant dégénéré, ne pourrait-on en profiter pour essayer de les garder ? » Mais c’est compter sans le féroce appétit prédateur de GOERING. Il isole les objets « dégénérés » dans « la salle des martyrs » et les troque à bas prix contre des œuvres destinées à sa demeure personnelle de Carinhall.

Des pillages savamment orchestrés

Afin d’organiser les confiscations et leurs répartitions, Alfred ROSENBERG, membre du NSDAP, fonde l’ERR (Équipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg). Il place à sa tête le baron VON BEHR, assisté de Bruno LOHSE. Non dépourvu de zèle, ce dernier n’hésite pas à se servir dans les collections des musées français. Son but ? Revendre les œuvres les plus valorisées sur le marché international de l’art. En effet, il faut par tous les moyens apporter au Reich les devises dont il a tant besoin pour financer ses dépenses militaires.

Rose VALLAND voit en ce sinistre personnage un ennemi de l’art. L’inimitié est mutuelle. Il la surprend un jour à lire des documents dans un bureau. Elle se confie à Jacques JAUJARD : « En me regardant dans les yeux il me dit que je pourrais être fusillée. Je lui réponds calmement que personne ici n’est assez stupide pour ne pas savoir les risques qu’il court ».

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Rose VALLAND au musée du Jeu de Paume en 1934. (c) Collection de la famille Garapont Vernay.

Rose VALLAND entre en résistance

Malgré l’efficacité redoutable des occupants pour spolier et transférer les œuvres vers le Reich, Rose VALLAND note patiemment le numéro des caisses, leur provenance et leur destination. Dotée d’une impressionnante culture, elle reconnaît aisément le style de chaque artiste et dresse des listes exhaustives des œuvres en « transit ».

Son patriotisme l’honore, mais son amour de l’art la pousse à prendre toujours plus de risques pour « sauver un peu de la beauté du monde ». Elle souffre néanmoins de se sentir si impuissante. « [Ils] continuent leur choix parmi les tableaux au séquestre du Louvre et donnent des coups de couteau dans les toiles qu’ils ne veulent pas garder. […] Les œuvres de Picasso ne sont pas toutes respectées, plusieurs sont coupées en morceaux ». 

Mettre les œuvres à l’abri pour les préserver

Peu avant la guerre, le ministre Jean ZAY avait élaboré un plan d’évacuation des œuvres pour les mettre à l’abri d’éventuels combats. Jacques JAUJARD s’était chargé de trouver des cachettes et d’organiser les départs vers les châteaux, abbayes et monastères éloignés des théâtres d’opérations militaires. Mais les nazis finissent par trouver ces cachettes. Non contents de spolier les familles juives, s’en prennent aussi aux collections nationales.

Rose VALLAND réalise l’ampleur du désastre lorsqu’elle voit arriver des œuvres en quantités importantes, avant qu’elles ne soient transférées sur un train en partance pour l’Allemagne. Grâce à son intervention, les cheminots se mettent en grève. Puis ils parviennent à faire dévier le train en prétextant une avarie mécanique. Par la suite, des soldats français parviennent à intercepter le précieux convoi.

Après la guerre, Rose VALLAND veut restituer les œuvres à leurs propriétaires légitimes

Au sortir de la guerre, Rose VALLAND se rend en Allemagne pour traquer les œuvres dispersées et tenter de les restituer à leurs propriétaires, parmi lesquels de nombreuses familles juives. En 1944, la CRA (Commission de Récupération Artistique) est fondée. Sa mission : restituer les œuvres d’art spoliées par le régime nazi à travers toute l’Europe.

Rose VALLAND en devient la secrétaire générale. Elle travaille alors en cheville avec les Monuments Men, ces soldats américains envoyés en Europe pour travailler à la restitution des objets d’art à leurs propriétaires. Elle parvient à interroger de nombreux anciens nazis et retrouve ainsi la trace de milliers d’œuvres.

À lire également : Art « authentiquement allemand » contre art « dégénéré » : l’impact du nazisme sur les collections du Kunstmuseum de Stuttgart.

Identifier les œuvres spoliées et les restituer, un travail à jamais inachevé…

Le poste de Rose VALLAND en Allemagne est supprimé en 1951. Son travail n’est pas achevé mais les dirigeants politiques, plus soucieux d’œuvrer à la reconstruction qu’à la restitution, la remercient. Rose VALLAND rentre en France où elle reprend sa vie maritale avec Joyce HEER, une traductrice de l’ambassade des États-Unis. Le 4 juin 1952, elle est nommée conservatrice des Musées nationaux. Bien qu’on lui demande officiellement de ne plus se mêler de restitutions, elle n’abandonne pas ses recherches.

En 1977 après le décès de sa compagne, Rose VALLAND, alors à la retraite, décide de déposer ses archives en lieu sûr, à la direction des Musées. Elle n’interrompt pas ses recherches pour autant. Victime d’un malaise le 18 septembre 1980, elle décède. Enterrée dans son village, elle n’a pour seule escorte que le maire et quelques villageois. Ainsi, dans la discrétion qui la caractérise, l’espionne la plus décorée de France, tire en silence sa révérence.

Plus d’informations en cliquant ici.

Article rédigé en nous fondant sur le livre de Jennifer LESIEUR, Rose Valland, L’Espionne à l’œuvre, Le Livre de Poche, 11/09/2024.

Voir aussi l’ouvrage en langue anglaise de Michelle Young, The Art Spy: the Extraordinary Untold Tale of WWII Resistance Hero Rose Valland, HarperOne, mai 2025.

Nous signalons également à nos lecteurs Le Train, film de John FRANKENHEIMER, Arthur PENN et Bernard FARREL, sorti en 1964 et librement inspiré du Front de l’art de Rose VALLAND. Alerté par les services secrets, un groupe de cheminots met tout en œuvre pour retenir en France un train chargé de trésors nationaux. Vidéo : © Les Artistes Associés, Les Films Ariane et Dear Film Produzione.

Références d’articles ayant attiré notre attention sur le cas de Rose VALLAND :

Image en tête d’article : (c) Rose VALLAND d’après une photo originale de la Collection Famille Garapont Vernay.

Plongez avec Tania au cœur de l’histoire de l’art avec une conservatrice hors pair, Rose VALLAND. Découvrez comment l’espionne la plus décorée de France parvint à sauver plus de 60.000 œuvres des griffes des nazis ! Portrait de Rose VALLAND : (c) d’après une photo originale de la Collection Famille Garapont Vernay. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Leya – Martin Landh.

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