Photogramme Différente, de Lola DOILLON

« Différente », de Lola DOILLON : Katia fait son coming-out avec son TSA

Dans Différente de Lola DOILLON, Katia, une documentaliste brillante, est en proie à de fréquentes angoisses. Alors qu’elle fait des recherches sur l’autisme, elle décide de se faire diagnostiquer. Nommer sa différence la soulage. Mais qu’en est-il de son entourage ?

Écrit par Tania Laniel.

La réalisatrice Lola DOILLON se voit proposer un projet sur le Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA). « En découvrant cette forme d’autisme sans déficience intellectuelle, assez spécifique aux femmes », elle se sent concernée. Attirée par cette différence, elle entrevoit une histoire d’amour entre un homme et une femme atteinte du syndrome d’Asperger. Soucieuse de mettre en scène un film crédible, elle s’entoure d’experts du TSA. Deux femmes – Julie DACHEZ et Florence MENDEZ – la conseillent tout en acceptant d’interpréter leur propre rôle. Ce jeu entre réalité et fiction montre que les personnes autistes savent s’adapter dans leur vie de tous les jours. Mais… jusqu’à quel point ?

Différente : ses angoisses empêchent Katia de s’épanouir

Dès la première scène du film, Katia s’assoit à son nouveau bureau aménagé dans un open space. Devant tant de lumière, de bruits, de mouvements et de nouveautés, elle se met à renifler, signe d’un malaise montant. Alors que sa collègue tente de la rassurer, Katia lui propose du chocolat. Ce faisant, elle ne peut s’empêcher de citer tous les nutriments qu’il contient. Cette focalisation sur certains détails la poursuit tout au long du film. Incapable de se détacher de ses émotions et de communiquer sur des sujets qui ne l’intéressent pas, elle craint de se faire virer…

Cette peur de la nouveauté l’empêche de développer une vie de couple épanouie. En effet, son ex petit-ami, Fred, avec qui elle ne cesse de se remettre en couple, souffre de son manque d’intégration sociale. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer. Lors d’une soirée, elle se met à paniquer lorsque Fred la mène au milieu de la piste de danse. S’il aime son côté désinhibé, il lui reproche de ne pas être suffisamment démonstrative dans ses sentiments. Katia, qui a horreur du conflit, tente de lui expliquer qu’elle étouffe en présence des autres.

Des espaces qui rassurent où oppressent Katia

À l’image du générique, alternant bandes horizontales et verticales, les espaces traversés par Katia sont ordonnés de manière géométrique. Son immeuble présente deux sas d’entrée aux verrières horizontales. De larges fenêtres aux persiennes rassurantes permettent à Katia de tamiser la lumière dans son appartement. D’autres détails décoratifs comme les coussins, qu’elle dispose dans le sens horizontal, lui permettent de se créer un cocon à son image.

Le monde extérieur, parsemé d’imprévus, la projette dans des lignes verticales. En effet, les grandes verrières de l’open space dans lequel elle travaille vont dans le sens de la hauteur. Le hall d’entrée de l’immeuble où elle fait la fête avec Fred présente aussi des vitres aux cadres verticaux rappelant les barreaux d’une prison. Là où Katia perçoit des refuges dans l’horizontalité, la verticalité diminue son horizon tout en la ramenant aux montagnes russes de ses émotions.

Différente : un rapport singulier au corps dans l’espace

La psychologue clinicienne, psychanalyste et maître de conférence Chantal LHEUREUX-DAVIDSE, explique dans ses travaux le rapport qu’entretiennent les personnes autistes avec la verticalité. « Dans le développement typique, c’est lorsque l’enfant se sent concerné par ce qu’il éprouve par le miroir identifiant de son entourage, qu’il développe un tonus qui le redresse, trouvant ainsi le sentiment d’exister dans son corps, dans l’espace et dans la relation. Les troubles sensoriels des enfants autistes ne leur permettent pas de se construire suffisamment dans le lien aux autres. La construction de leur image du corps et de leur verticalité est ainsi entravée. »

Cette verticalité, recherchée par la plupart des personnes autistes, Katia fait tout pour s’en éloigner, grand paradoxe. Cet ordonnancement de l’espace est-il trop terre à terre pour cette jeune femme fascinée par les étoiles ? L’infiniment petit – l’humain – l’effraie, là où l’infiniment grand – l’univers – la réconforte. Dès son enfance, elle dessine des planètes. Arrivée à l’âge adulte, elle se réfugie dans son lit pour contempler les projections étoilées d’une veilleuse allumée.

Flûte et cordes, échos des fluctuations de Katia

Dès que des émotions fortes l’envahissent, Katia peine à respirer. La bande-son épouse d’ailleurs ses fluctuations émotionnelles. Quand elle panique, une flûte se fait l’écho de son souffle saccadé. Lors d’une scène où elle administre les gestes de premiers secours à une victime de malaise, la sirène des ambulanciers l’affole. La flûte joue de manière désorganisée faisant penser à l’accordage des instruments avant l’arrivée du chef d’orchestre. Puis, à partir du moment où Katia reprend le contrôle de ses émotions, la mélodie s’harmonise.

Parfois des cordes accompagnent la flûte, soulignant les conséquences de l’autisme : angoisse, tristesse, colère et isolement. Là où la flûte se fait l’écho de Katia, les cordes traduisent l’incompréhension et parfois l’éloignement de ses proches.

Photogramme Différente, de Lola DOILLON
Fred interprété par Thibaut EVRARD et Katia interprétée par Jehnny BETH, sur le bateau de Fred au Conquet.
Photogramme extrait de Différente, de Lola DOILLON. © Memento, juin 2025.

Un diagnostic qui soulage et inspire Katia

Dans le cadre de son travail, Katia rencontre Julie DACHEZ, conférencière et directrice d’une association sur le TSA. Elle est fascinée par les informations que Julie lui apporte sur son trouble et les raisons du retard dans sa prise en charge. D’ailleurs, au moment où la conférencière mentionne son propre TSA, la caméra se focalise sur Katia, la filmant depuis ses notes posées à terre et son sac accroché autour d’un pied de chaise, jusqu’à son visage ébahi. Un début d’identification se met en place.

Katia décide alors d’assister à une conférence organisée par l’association, puis de se faire diagnostiquer. Lorsque le verdict tombe, ses pleurs se mêlent au son de la flûte et des violons. Tout s’accorde enfin, car elle peut mettre un nom sur cette différence qui la fait souffrir. Savoir qu’elle n’est pas malade, mais simplement différente, la rassure et lui redonne espoir. Julie DACHEZ l’inspire d’ailleurs à plusieurs niveaux puisque, non contente d’avoir des responsabilités épanouissantes dans son travail, elle est aussi maman.

Le coming-out de Katia face à l’incompréhension des autres

À partir de là, Katia sort du placard où elle s’enfermait à l’écart du bruit et de la lumière, pour travailler plus à son aise dans son open space, portant sans honte un casque et ses lunettes de soleil. Si, au début, son patron est pris au dépourvu à l’annonce de son diagnostic, il se dit que cela ne fera que l’aider à atteindre son quota de travailleurs souffrant d’un handicap.

De même, lorsque Katia annonce son TSA à ses proches, elle se heurte à une certaine incompréhension. Interloqué, Fred est embarrassé face à ce nouveau statut de « handicapée ». D’ailleurs, la scène se déroule dans un chemin tagué de robots identiques, soulignant l’idée que la norme est acceptable, là où la différence dérange.

De plus, lorsque Katia en parle sans filtre à l’un des amis de Fred, celui-ci réagit de manière stéréotypée, lui demandant quel est « son truc ». Mais, comme le rappelle la réalisatrice : « Il y a autant d’autismes que de personnes autistes ».

Une relation mère-fille conflictuelle

Bien que Katia soit souvent en communication téléphonique avec sa mère, leur relation est conflictuelle. De manière inconsciente, Katia cherche à plaire à sa génitrice, qui l’abreuve pourtant de reproches. À tel point que, pour préparer sa chambre, elle installe des rideaux jaune moutarde et des draps gris à sa mère souvent vêtue de ces mêmes coloris.

Katia, quant à elle, porte souvent du rouge, couleur pourtant exécrée par la plupart des personnes autistes. Mais le jour de la visite de sa mère, elle revêt du bleu clair. Replongerait-elle en enfance par crainte de se dévoiler ? Lorsqu’elle se lance enfin, sa mère n’a de cesse de l’interrompre, de protester, de se justifier pour nier ce diagnostic. Incapable d’être à l’écoute de sa fille, elle ferme la porte à l’éventualité d’un handicap, car au fond, elle se sent responsable.

À lire également : Autisme : valoriser des talents uniques, pour eux, pour nous (Pr. Frédérique BONNET-BRILHAULT).

Fonder une famille, est-ce possible pour Katia dans Différente ?

Toujours incomprise et mise à l’écart, Katia ne peut envisager de poursuivre sa maternité. La scène où elle annonce sa grossesse à Fred témoigne d’ailleurs de l’angoisse que la parentalité suscite chez ce couple. Fred est assis devant un miroir, Katia est dos à un tableau présentant deux planètes perdues dans une nébuleuse. Au cours de la conversation, ils échangent leur place, physiquement. Mais l’empathie a ses limites et ils se séparent.

L’amour pourtant demeure. Ils se retrouvent à nouveau et, partant du constat qu’une relation classique ne leur convient pas, Katia suggère qu’ils fassent « une garde partagée d’eux-mêmes ». En acceptant de fonctionner différemment ils font de leurs divergences un point de ralliement. Car finalement, comme le déclare Lola DOILLON, « ce qui compte, c’est de vouloir comprendre l’autre, d’apprendre de ses différences, qu’elles soient autistiques ou non ».

Plus d’informations en cliquant ici.

Ne manquez pas le dernier film de Lola DOILLON : Différente. L’histoire d’une brillante documentaliste trentenaire qui découvre lors de ses recherches qu’elle souffre d’un Trouble du Spectre de l’Autisme. Photo : (c) Lola DOILLON. Vidéo : (c) Tania LANIEL & LaTDI. Musique : (c) ES_Lotus River – Rand Aldo.

Différente affiche film de Lola DOILLON
Différente, de Lola DOILLON, avec Jehnny BETH et Thibaut EVRARD, sortie le 11 juin 2025.
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