Connaissez-vous Reinhard HEYDRICH ? L’exposition que vient de lui consacrer le musée ‘Topographie de la Terreur’ de Berlin permet de se familiariser avec ce sinistre personnage, rouage central de la répression et de la terreur nazies. Nous suivons ainsi pas à pas le déroulement de sa carrière jusqu’à son « faîte », en tant que responsable opérationnel de la Shoah.
Andreas MIX est le commissaire de la fascinante exposition sur Reinhard HEYDRICH s’étant tenu au musée de la Topographie de la Terreur (Berlin) jusqu’au 10 juin dernier. Cette expo est appelée à être de nouveau montrée à Halle, ville natale de HEYDRICH à partir de février 2026, puis à Kiel et à Prague. Spécialiste de la Première, mais surtout de la Deuxième Guerre mondiale et de la période nazie, Andreas MIX a par le passé collaboré avec le Deutsches Historisches Museum. C’était en 2014, à l’occasion d’une grande exposition consacrée au centenaire de la Première Guerre mondiale, inaugurée en présence de la chancelière Merkel. « Il y avait beaucoup de journalistes. Elle a écouté nos explications pendant une demi-heure, faisant preuve du sens de l’humour qui la caractérise ».
Topographie de la Terreur, un des musées les plus fréquentés de Berlin
L’exposition consacrée à Reinhard HEYDRICH montre, sur une surface de 200 m², des documents, photographies, films, enregistrements sonores, et bien sûr des textes en rapport avec ce personnage. « Nous avons aussi créé des supports explicatifs, par exemple des infographies en allemand et en anglais sur l’organisation de la police politique, parce que c’est un sujet très complexe à comprendre ».
Le musée « Topographie de la Terreur » reçoit environ deux millions de visiteurs par an, ce qui en fait l’un des lieux phares de la capitale. Entièrement gratuit, financé conjointement par la ville de Berlin et par l’État fédéral, il est ouvert tous les jours jusqu’à 20 heures. Les visiteurs sont en majorité des étrangers — environ 60 à 70 % — mais aussi des scolaires allemands. Les élèves viennent ici approfondir leurs connaissances sur la période nazie. Situé en plein centre-ville, sur les lieux occupés jadis par les institutions sécuritaires nazies, dont la Gestapo (police secrète) et le SD, service de renseignement de la SS, le musée est donc facile d’accès.
Comme on peut l’imaginer, cette zone de la capitale a été abondamment bombardée pendant la guerre. Situé dans la zone d’occupation américaine, cet espace devient par la suite un no man’s land. Le Mur de Berlin, érigé en 1961, passe juste à côté. Puis cet endroit est redécouvert dans les années 1970 et 1980. Une première exposition y est organisée en plein air, dans les années 1980. Le bâtiment actuel et son exposition permanente ont été ouverts en 2010.
Un bâtiment modeste au service de la mémoire de l’humanité
Le bâtiment en lui-même a été pensé pour ne pas attirer l’attention sur lui-même, mais sur ce qu’il y a autour. Un projet architectural très ambitieux est tout d’abord confié à Peter ZUMTHOR, le célèbre architecte suisse. Puis il est abandonné au profit d’un nouveau projet, plus sobre, plus modeste, et surtout plus adapté au site. « Il s’efface pour mettre en valeur le lieu et son histoire ».
En Allemagne, il existe de nombreuses expositions sur le nazisme et les crimes nazis. En revanche, très peu d’expositions se focalisent sur des individus. Il y a bien eu en 2010 une grande exposition au Deutsches Historisches Museum sur « HITLER et les Allemands ». Mais l’accent était mis sur la société allemande, pas sur Hitler en lui-même. « Il en est de même pour l’exposition sur Albert SPEER, préparée par le Centre de documentation du site des congrès du parti nazi de Nuremberg que nous avons accueillie ici en 2022. Cette exposition portait sur la ‘deuxième carrière’ de SPEER en tant qu’écrivain à succès dans le contexte de la République Fédérale d’Allemagne d’après-guerre. De même, dans les lieux de mémoire des camps de concentration, il est davantage question du personnel que d’une figure en particulier ».
Comment aborder le cas Reinhard HEYDRICH ?
Lorsque l’idée de consacrer une exposition à Reinhard HEYDRICH émerge, Andreas MIX et ses collègues se posent la question de savoir comment aborder le sujet. « Est-ce qu’on ne risquait pas d’en faire une star ? Finalement, nous avons décidé que l’exposition porterait bien sur HEYDRICH, mais aussi et surtout sur les institutions qu’il avait créées et qu’il dirigeait ».
Reinhard HEYDRICH ne tenait pas de journal intime, contrairement à Heinrich HIMMLER. Par ailleurs, il ne reste presque rien de sa correspondance privée, cinq lettres tout au plus. Si bien qu’il est difficile de cerner sa personnalité. « On sait juste qu’il était très ambitieux et brutal. Cela lui permet de parvenir rapidement au sommet de la police nazie et de la SS ».
Chaque chapitre de l’exposition aborde donc une étape particulière de sa carrière. Après avoir évoqué rapidement son enfance et ses années passées à Kiel au sein de la Kriegsmarine, l’exposition se focalise sur son ascension au sein du mouvement nazi dans les années 30. Nous le suivons lors de son installation à Berlin à partir de 1934. Par la suite, nous nous intéressons à son rôle durant la guerre à Berlin et à Prague, à partir du moment où il devient Protecteur de la Bohême-Moravie. Enfin, l’exposition intègre une section posthume consacrée à son « héritage », puisqu’il meurt victime d’un attentat à Prague, en 1942.
L’ascendance juive de Reinhard HEYDRICH, une ‘fake news’ destinée à le dédouaner de ses motivations politiques !
Certes, l’exposition aborde la question de sa supposée ascendance juive… Cela provient du patronyme « suspect » du beau-père du propre père de HEYDRICH : Gustav Robert SÜSS ! Bien que sans fondement, la rumeur se fait suffisamment insistante pour qu’une enquête interne soit diligentée en 1933 par les nazis eux-mêmes. Mais ces derniers ne trouvent aucune preuve. Cela n’empêche pas certains auteurs de continuer à répandre cette idée dans les années 1960-70.
Ils tentent par là d’expliquer la radicalité du personnage, comme si, en tant que « demi-juif », il s’était senti obligé de se montrer plus royaliste que le roi pour montrer sa loyauté. Selon Andreas MIX, il s’agit là d’une explication facile. « Elle permet de dépolitiser les choix de HEYDRICH. Comme s’il n’avait pas eu d’idéologie, simplement un complexe personnel. Or, il a délibérément choisi son camp. Et il n’était pas en conflit avec lui-même, mais avec ses opposants et ses victimes désignées ».

Reinhard HEYDRICH exclu de la Kriegsmarine
Avant l’ascension fulgurante que nous lui connaissons, Reinhard HEYDRICH doit faire face à un gros échec. En 1931, il a une aventure avec deux femmes à la fois. Cette situation privée finit par déborder sur sa carrière. Car à l’époque, la marine allemande, héritière de la marine impériale du Kaiser, ne plaisante pas avec son code d’honneur. Convoqué devant une commission disciplinaire, il se retrouve exclu de la Kriegsmarine.
En décembre 1931, il finit par épouser l’une de ces prétendantes, Lina von OSTEN. Puis il rejoint Munich peu après. Là, il est « pistonné » par sa marraine restée à Halle dont le fils travaille déjà pour HIMMLER. C’est le début de sa carrière dans le mouvement nazi. Il rejoint la SS. Pour lui, il s’agit d’une seconde chance qu’il compte bien saisir. « HIMMLER m’a donné cette opportunité. C’est un immense défi, mais je ferai de mon mieux », écrit-il à sa belle-mère. Cette lettre fait partie des documents présentés par l’exposition.
Nouveau départ en tant que cadre dirigeant du NSDAP avec la création du SD
Et de fait, il s’agit pour lui d’un nouveau départ. Il passe du statut d’officier exclu à celui de cadre montant d’un parti radical, lui-même en pleine ascension. C’est le point de départ de toute sa trajectoire dans l’appareil de terreur nazi, avec le succès qu’on lui connaît.
Sur ordre de HIMMLER, il commence en 1931 par créer le SD (Sicherheitsdienst), service de sécurité parallèle rattaché au parti nazi et plus particulièrement à la SS. « Il s’agit au départ d’une cellule minuscule avec deux ou trois personnes seulement, basée à Munich. L’un des premiers collaborateurs de HEYDRICH n’est autre que Carl OBERG. Celui-ci deviendra par la suite le chef supérieur de la SS et de la Police dans la France occupée. Le SD se développe rapidement en se professionnalisant. HEYDRICH en fait un instrument de pouvoir redoutable, à usage interne aussi bien qu’externe ».
C’est ainsi qu’en juin 1934, lors de la « nuit des longs couteux », Reinhard HEYDRICH joue un rôle décisif lors de l’élimination de la SA, grande rivale de la SS. Il compile une liste de personnes à éliminer, toutes cadres de la SA. Il en profite également pour faire assassiner certaines figures politiques hostiles, comme Erich KLAUSENER — un catholique travaillant au ministère de l’Intérieur. Ce dernier est abattu dans son bureau. C’était un ennemi du mouvement nazi : il détenait trop d’informations sur ses structures internes.
Progressivement, HEYDRICH organise la fusion de tous les organes sécuritaires de l’État allemand et du parti nazi. Cela inclut la Gestapo (police secrète), la police criminelle (la Kripo) et le service de renseignement de la SS, le SD. « Cela est typique du système nazi. Ce mélange entre institutions étatiques, organisations du parti, polices officielles et structures paramilitaires ».
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HEYDRICH, ‘manager opérationnel’ de la Shoah
À partir de la Deuxième Guerre mondiale, HEYDRICH crée les Einsatzgruppen, ces escadrons semant la mort et la terreur en Pologne (1939), puis en Union soviétique (1941). « HEYDRICH fait régulièrement des tournées d’inspection sur le front, parfois avec HIMMLER lui-même. Il voyageait beaucoup, prononçait des discours, motivait, critiquait les officiers, surtout quand ils ‘n’étaient pas assez efficaces’, c’est-à-dire quand ils ne faisaient pas assez de victimes. Cela est révélateur de son style de commandement : il pratiquait une gestion de terrain, directe, concrète et brutale ». Certaines de ses visites sont documentées, photographiées. L’exposition en présente des images, parmi les plus marquantes.
Elle aborde aussi un autre moment fondamental dans la carrière de HEYDRICH, à savoir la conférence de Wannsee (janvier 1942). Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, ce n’est pas là que la Solution Finale est décidée. Car la politique d’extermination est déjà bien en cours. En revanche, HEYDRICH utilise cette conférence pour affirmer son autorité en tant que coordinateur. Il se présente comme le responsable opérationnel des déportations, y compris de leur logistique et des meurtres auxquelles elles aboutissent.
Par la suite, il voyage, notamment en Slovaquie, pour obtenir la collaboration des autorités locales. Il se rend aussi en France, peu avant sa mort. « Nous présentons des images très rares de sa visite à Paris de mai 1942. Il y rencontre son collaborateur de longue date Carl OBERG, chapeautant désormais la SS pour toute la France occupée. C’est d’ailleurs l’une de ses dernières missions, quelques semaines avant l’attentat qui lui coûtera la vie ».
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Andreas MIX, commissaire de l’exposition Reinhard HEYDRICH. Carrière et violence présentée au musée Topographie des Terrors à Berlin, revient sur l’ascension fulgurante de HEYDRICH jusqu’au sommet de l’appareil sécuritaire de l’Etat nazi. Photo : (c) Topographie des Terrors. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Mainlander – Dream Cave.

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